Chapitre 39 - Home hard home

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Le chant des oiseaux berça le sombre sommeil des quatre adolescents pendant un long moment, plusieurs heures, avant que l'un d'entre eux ne s'éveillât. Augustine Baudelaire, treize ans, le corps courbatu, effectua quelques légers étirements avant de se redresser vivement et de s'apercevoir qu'elle venait d'émerger au beau milieu de la forêt, en pleine nuit.

- Encore ! souffla-t-elle, épuisée.

Puis, elle s'aperçut qu'elle n'était pas seule. Dans l'obscurité, elle distingua trois masses qui s'étalaient non loin d'elle. Elle cilla plusieurs fois, ajusta sa vue et, parmi les gris colorés chers à la nuit, elle devina deux têtes blondes et une tignasse rousse. Ses amis. Ses trois meilleurs amis gisaient là, avec elle. Ils seraient punis, mais tous rentrés pour l'aube. Heureuse, elle poussa un long soupir de soulagement. Ils avaient l'air sain et sauf.

Elle essaya de se relever, mais la gravité fut plus forte qu'elle, elle chuta sur les fesses immédiatement après avoir essayé de se dresser sur ses pieds. Elle secoua la tête et rampa vers son ami le plus proche. Cédric paraissait indemne et dormait profondément sur le dos, comme l'avait promis Ninnie. Cependant, impossible de le réveiller. Elle lui tapota les joues, lui remua le bras, rien à faire. Il n'ouvrait pas les yeux.

Alors, elle s'approcha de Valentine qui demeurait là aussi, dans le même état que son frère, mais en position fœtale. Son sommeil paraissait encore plus paisible que celui de Cédric, alors Augustine n'osa pas la toucher pour l'éveiller. Les jumeaux allaient s'éveiller d'un instant à l'autre, elle n'en doutait pas. Ninnie l'avait promis.

Elle s'éloigna d'eux pour rejoindre son meilleur ami, son frère de cœur, celui qui la supportait depuis les temps anciens : l'école maternelle. L'une de ses jambes était tordue dans un axe qu'elle n'aurait jamais pu imaginer, comme l'un de ses bras. Sa tête était tournée sur le côté. La faible lueur de la lune qui perçait entre les branches rendait son visage encore plus livide que d'ordinaire. Son front luisait de transpiration. Augustine posa la main sur son front. Maël était brûlant. Une fièvre mystérieuse s'était emparée de lui. Et ce fut à ce moment précis qu'elle aperçut le second profil de son ami, celui qui avait collé au portail. Un relief étrange parsemait sa peau. Des bosses couvraient son menton jusqu'au front. Ninnie l'avait trahie, Ninnie lui avait menti. Maël était loin d'être indemne. Une boule entrava sa gorge.

- J'vais t'sortir de là frangin ! Promis !

Augustine sentit sa faible respiration se frayer un passage laborieux jusqu'à ses poumons. Elle passa la main devant ses lèvres pour s'assurer qu'il inspirait toujours et écouta son cœur. Un léger battement résonna au cœur de son torse. Il était faible, mais Maël était toujours vivant.

Elle voulut lui prendre les mains, mais elles n'étaient que chairs brûlées, là où sa peau avait effleuré le portail.

Il y avait urgence. Elle devait trouver du secours pour ses amis. Elle agita la tête ; des vertiges la saisissaient et elle ne voulait pas se laisser submerger par une vague ingérable d'émotions, elle n'avait pas de temps à perdre. Mais Augustine ne contrôlait pas ce qu'elle ressentait. Il y avait beaucoup trop de choses à gérer en même temps. Sa tête était prise dans un étau qui se resserrait. Était-ce elle, ou la Terre valsait ? Elle papillonna des paupières pour tirer le voile qui bouchait sa vue. Elle posa la main sur le sol humide pour se redresser doucement. Ses doigts glissèrent dans une flaque de boue. Depuis quand pleuvait-il ?

La forêt entière tanguait autour d'elle, un bateau univers l'emportait vers un obstacle aussi dur qu'un iceberg. Ses oreilles bourdonnaient et les chants des oiseaux, étouffés par ses acouphènes, ressemblaient à un chuintement insignifiant. Elle se maintint grâce à un tronc séculaire pour reprendre quelques forces. Son sac, où était son sac ? Et ses chaussures ?
Elle fouilla du regard la pénombre et se rendit compte que son sac était resté de l'autre côté du portail, ainsi que ses chaussures. Elle tituba un instant et, son pied, agrippé par ce qu'elle prit pour une racine, se tordit. Elle bascula en avant et percuta une petite souche violemment. Augustine Baudelaire perdit une nouvelle fois connaissance.

Il devait déjà être aux alentours de 10h, lorsqu'un rayon de soleil chatoyant perça les ramures des arbres et effleura la peau délicate de sa nuque. La chaleur s'immisça dans ses veines et réchauffa peu à peu son corps. Augustine émergea doucement de sa sombre nuit. L'esprit encore embrumé par les spores du sommeil profond, le marchand de sable avait eu la main lourde. Ses paupières gonflées peinaient à s'ouvrir sur le monde et sur une nouvelle journée. Elle papillonna des yeux, lutta contre une nouvelle vague de sommeil et quelques vertiges et se redressa prudemment. Sous son œil droit, sa pommette la faisait souffrir et c'était sans compter la douleur pernicieuse qui lui chatouillait le nez sur toute sa longueur. Quelque chose avait séché tout autour de ses narines et dans le creux de ses lèvres. Elle voulut gratter sa peau, mais un éclair de douleur remonta le long de son doigt, son ongle pendait à un petit lambeau de cuticule. Augustine frissonna. Ses vêtements, qui collaient à son corps, étaient trempés des averses qui s'étaient succédé pendant la nuit et sa cheville la faisait drôlement souffrir. Ressentir son corps de façon si intense électrisa ses méninges. La réalité la rattrapa. Ses amis !
Valentine, Cédric et Maël gisait toujours près des arbres aux troncs jumeaux. L'un d'entre eux remuait légèrement dans son sommeil, tandis que les deux autres ressemblaient plus à des cad...

Non ! Augustine refusait de se laisser envahir par ces idées tristes, négatives et cette fascination du pire qui caractérisait bon nombre d'adultes ! Autant en avoir le cœur net et vérifier par elle-même. Elle se leva d'un bond et claudiqua en prenant appui sur sa cheville valide. Elle ne se sentait pas fringante sur ses pieds et faillit s'écrouler sur le corps de Valentine. Elle se retint in extremis à un tronc tortueux avant de piétiner son amie.
En s'approchant d'elle, Augustine remarqua que Valentine avait la tête dans une flaque. Par chance, son nez et sa bouche étaient bien loin d'être submergés par les flots. Elle la secoua pour la réveiller, sans succès. À ses côtés, Cédric avait l'air d'émerger et Maël... L'estomac d'Augustine se noua lorsqu'elle découvrit au grand jour l'état de son frère de cœur. Une moitié de son visage était couverte de cloques qui commençaient à s'infecter et ses mains étaient dans un bien triste état.

Cédric murmura quelque chose derrière elle. Il avait ouvert les yeux et tentait de se relever.

- Bouge pas Cédric, j'vais aller chercher de l'aide.

Le blondinet, hagard, semblait tout aussi désorienté qu'Augustine à son propre réveil. Elle lui posa la main sur le genou et le força à le regarder dans les yeux.

- Cédric, reste allongé, lui conseilla-t-elle, surveille ta sœur et Maël, je reviens le plus vite possible.
- Taspasvutatête, marmonna-t-il en riant, encore ensommeillé.

Quelques soubresauts de rires incontrôlés le secouèrent. Il regarda à sa droite et rit de plus belle en voyant Maël. À gauche, la vision de sa sœur l'extirpa violemment de son apathie. Il commença à la secouer pour qu'elle s'éveillât. Augustine s'interposa.

- J'ai déjà essayé, Cédric, elle se réveille pas.

Légèrement hagard, il hocha la tête tout en gardant la main de sa sœur au creux de la sienne.

- Elle est glacée Gus'...

Sa voix tremblotait.

- Réchauffe-la pendant que je vais chercher de l'aide ! Je fais aussi vite que je peux.

Cédric acquiesça, les yeux brillants.

- Fais vite Gus'... supplia-t-il.

La voix de son ami lui saisit les tripes. Jamais elle n'aurait pensé se retrouver un jour confrontée à un Cédric aussi décontenancé, aussi fragile. L'adrénaline parcourut le corps d'Augustine au grand galop et, malgré sa cheville douloureuse, que Cédric n'avait pas remarquée, elle se mit à courir comme elle n'avait jamais couru de sa courte vie. Rejoindre sa maison. Prévenir sa mère. Vite. Elle saurait quoi faire.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant