Chapitre 36 - L'accident inévitable

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Le jeune garçon s'engagea dans une course endiablée ressemblant étrangement à celle de Harry et Ron en gare de King's Cross dans le deuxième tome de la saga sur le sorcier. Il avait couru comme il ne l'avait jamais fait et comme dans La Chambre des secrets, il percuta violemment le portail, sauf qu'au lieu de rebondir sur la paroi close, il y resta collé. Secoué de tremblements, il hurla de douleur. Sa bouche se tordit en un rictus horrible et soudainement, le garçon s'écroula brutalement au sol. Des spasmes lui tendaient régulièrement les muscles, mais il sembla peu à peu s'apaiser.

Augustine assista à ce spectacle terrifiant. Que s'était-il passé ? Pourquoi Maël n'avait pas su franchir le portail ? Elle se tâtait à retraverser : si Maël avait été électrocuté, elle le serait peut-être aussi désormais et elle n'en avait pas du tout envie. Elle ne pouvait quand même pas être coincée dans ce monde-ci pour toujours ! Ses amis avaient besoin d'elle. Maël avait besoin d'elle. Elle ne pouvait le laisser seul, s'il était blessé, il avait besoin de soins. Elle devait retraverser, quoiqu'il en coûtât, elle devait retourner dans son monde. Elle amorça un mouvement quand soudain la voix aigrelette la pétrifia de nouveau.

- J'f'rais pas ça si j'étais toi !

Le cœur d'Augustine s'accéléra. Elle fit volte-face et fouilla les environs du regard. Personne. Un majestueux lac étincelait à perte de vue et se confondait avec les cieux. Le vénérable chêne plongeait ses branches méandriques dans le ciel pur pour en extraire de la pluie qui gouttait sur quelques unes de ses feuilles. La nature foisonnante ne laissait paraître aucune âme humaine ou anthropomorphe.

- Il va mourir si t'y r'tournes. C'est sûr !

Un rire glaçant sortit de la forêt. De la gauche, elle en était sûre, il venait de sa gauche.

- Et p't'être même si t'y r'tournes pas. Hi hi hi.

Maintenant, la voix venait des frondaisons des arbres.

- Quoi ?

Un écho sinistre lui répondit, agrémenté d'un nouveau rire. Cette fois, les sons provenaient de la droite. Elle se sentait prise dans un étau qui se resserrait petit à petit autour de son crâne. Que faire pour aider Maël ? Devait-elle abandonner les jumeaux pour retrouver son meilleur ami ou continuer sa route dans cet Autre-Côté perturbant ? Augustine sentait son cerveau bouillir. Elle regrettait amèrement d'être passée seule. Elle aurait dû attendre son frangin. Ils avaient commencé l'aventure à deux, ils n'auraient pas dû se séparer. Non, ils n'auraient pas dû...

Une larme s'échappa de la commissure de ses paupières et roula sur sa joue jusqu'à son menton. Elle hésita un instant, suspendue à un relief de sa peau et s'abandonna à la gravité. Augustine la vit tomber sur un pétale en forme de cœur d'une tendre mauve.

- Pleure, tu piss'ras moins ! Eh eh ! Mais ça f'ra pas rev'nir tes amis.

Augustine avait-elle bien entendu ? Ses amis ? Au pluriel ? Peu importait qui était le malotru qui la malmenait, il savait quelque chose. Elle et Maël n'avaient pas tout risqué pour rien. Sa décision était prise : elle ne ferait pas marche arrière. Mieux, elle retraverserait le portail avec les jumeaux ! Elle devait, pour cela, réussir à mettre la main sur la créature invisible à la voix insupportable, mais elle n'avait aucune idée de la tactique qu'elle devait adopter.

- On dirait que la demoiselle ne sait plus quoi faire. On dirait que la demoiselle a l'air bien embarrassée. Doit-elle rester ? Doit-elle partir ? se moqua la voix puérile et railleuse qui avait encore changé de lieu.

Augustine ne comprenait pas comment faisait le porteur de la voix pour bouger aussi rapidement sans bruit. Il donnait l'impression de pouvoir être à deux, trois ou même quatre endroits au même moment. Elle jeta un œil aux arbres, il n'y avait pas d'enceinte dissimulée dans le feuillage.

- Ça suffit, ordonna-t-elle, montrez-vous !
- C'est qu'en plus elle exige de moi. Non, non, non, on n'exige de rien ni de personne ici. Y a que lui qui peu exiger et uniquement lui et il peut exiger de tout et tous. Mais chut. Y faut pas l'dire.
- De qui parlez-vous ?
- C'est pas tes affaires... chantonna la voix aigrelette de korrigan facétieux.
- Où sont mes amis ? Je veux les retrouver. Ils n'appartiennent pas à ce monde !
- Toi non plus d'ailleurs ! Hi hi hi. T'as rien à faire ici, non, non, t'as strictement rien à faire ici.
- Je suis venue les retrouver !
- Ils sont pas perdus, hi hi hi. Non, non, ils sont pas perdus.

La créature savait donc où trouver ses amis. Peut-être pouvait-elle jouer sur le côté infantile de la créature pour la berner. Après un instant de silence, et avant qu'Augustine eut le temps d'ouvrir la bouche, la voix de la créature se rapprocha considérablement.

- Comment t'as fait pour traverser ? Y'a que les gens magiques qui peuvent traverser, mais t'es pas magique toi, si ?

Elle entendit du bruit dans le feuillage derrière elle, puis plus rien. Quelque chose renifla plusieurs fois, comme si la créature humait son corps. Augustine sentit ses muscles se tendre. Un souffle souleva les cheveux sur son cou. Elle fit volte-face. Personne.

- Tu pues l'humaine, t'as rien à faire ici ! T'as même pas l'droit d'être ici ! Comment t'as fait pour trouver et traverser le portail ? T'as une drôle d'odeur pour une humaine. On dirait que t'a mangé un truc pas très net. Peut-être des asperges...

Étrangement, la voix paraissait intriguée par Augustine. Qu'un être humain franchisse le portail ne devait pas être chose courante. Le bruit recommença, il la sentait encore. La créature marmonna dans son coin, puis se ressaisit :

- Tu as perdu ta langue, humaine ? Il n'y a pas de chat ici. Tu dois répondre !

Augustine ne savait pas quoi dire. Elle ignorait pourquoi elle avait su traverser tout autant que la créature. Maël, lui, était resté sur le pas de la porte. Pourquoi ? Quelle différence y avait-il entre eux ?

- Vous répondre quoi ? Je sais pas pourquoi moi j'ai pu traverser et pas lui.

Elle désignait le corps étendu de son ami, de l'autre côté du voile.

- Je dois aller l'aider. Rendez-moi mes amis.
- Je peux pas faire ça, chantonna la créature.
- Vous savez où ils sont, menez-moi à eux, supplia la brunette.

Le mutin lutin du feuillage ne se pressa pas pour répondre. Il parut réfléchir.

- S'il vous plaît, insista Augustine, c'est vraiment important.
- Non, non. C'est pas ma décision. J'ai pas l'droit. Non, non. Du tout. Pas envie de me faire taper sur les doigts. Non, non, c'est pas ma décision, j'ai pas l'droit.

Il marmonna un instant sans prêter attention à Augustine qui passa ce moment à observer Maël avec un pincement au cœur. Des bruissements de feuilles sèches se firent entendre de son côté gauche. Augustine se raidit, le corps en tension, et prête à surprendre son tourmenteur.
La voix résonna au creux de son oreille et la fit sursauter de manière impressionnante, ses pieds décollèrent même du sol.

- C'est quoi ta décision ? Tu restes – la voix était à gauche – ou tu pars – la voix était à droite ?
- Je veux retrouver mes amis !
- Alors, tu restes ? T'es sûre de pas vouloir retourner auprès de l'autre ? Hi hi. De l'Autre-Côté.

À chaque réponse, la voix de la créature continuait de provenir d'un horizon différent. Augustine sentait l'agacement grimper le long de son dos. Elle tapa du pied.

- Vous allez m'faire tourner en bourrique encore longtemps ? Qu'est-ce que vous nous voulez à la fin ? Pourquoi vous nous faites ça ? Laissez-nous tranquille ! Rendez-moi mes amis !

Elle tournait sur elle-même, comme un fauve claustré dans son étroite geôle, en essayant de dénicher son interlocuteur qui continuait de s'esclaffer ; son rire ressemblait fortement au hululement d'une chouette effraie. Ses pas marquaient l'herbe grasse et faisaient fuir quelques insectes et arachnides à toute berzingue. De sombres cloportes surpris s'enroulèrent sur eux-même, feignant la mort. Augustine avait l'impression de devenir folle, elle se demanda même si la voix ne venait pas d'elle-même, jusqu'à ce qu'une voix plus grave et impressionnante l'interrompît. Elle semblait provenir des profondeurs de la Terre, si l'on pouvait considérer que la jeune aventurière se trouvât encore sur notre belle planète bleue.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant