Chapitre 15 - La solitude imposée

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La monotonie de l'automne s'installa peu à peu et, avec elle, la pluie, les tempêtes régulières et la nudité des arbres qui paraissaient plus morts que vivants. Les mois noirs pesaient déjà lourd sur les épaules et le moral de tous les Paimpéranais alors que le solstice d'hiver n'était pas encore derrière eux. Augustine n'échappait pas à la morosité ambiante. Ses semaines n'étaient régulées que par le collège et les tonnes de devoirs. Depuis son altercation avec le professeur Keanan, elle transportait toujours avec elle une gourde d'un litre qu'elle conservait dans son sac et qu'elle pouvait sortir discrètement en cours lorsque chaque professeur avait le dos tourné. Dès que la soif la tenaillait, la peur au ventre, elle l'attrapait et buvait rapidement une gorgée ou deux avant de la ranger tout aussi furtivement. Pour le moment, personne, mis à part ses amis, n'avaient repéré son manège, mais elle savait que cette astuce ne passerait pas longtemps inaperçue.
La deuxième semaine de décembre, une surprise attendait tous les élèves, dès la première heure, un siège vide depuis bien trop longtemps s'était comblé. Maël reprenait enfin sa place au sein de la classe. Il avait fondu pendant sa convalescence. Son visage creusé accentuait sa triste mine. Dès qu'elle l'aperçut, Augustine, prise par un élan d'enthousiasme débordant ne put s'empêcher de courir vers son ami, mais il était déjà entouré d'une bonne partie de ses camarades et il ne lui prêta aucune attention. Alors qu'elle allait lui parler, le professeur Keanan rentra dans la salle et en guise de salutations, leur somma de rejoindre leur place et commença son cours alors qu'il n'avait pas encore ôté son lourd manteau. Augustine passa l'intégralité de la leçon à s'occuper davantage de Maël que du nouveau chapitre sur la découverte des Amériques par Christophe Colomb. Elle lui jeta plusieurs coups d'œil, comme pour s'assurer qu'il était vraiment revenu, mais jamais elle ne croisa son regard. L'attitude du garçon lui parut étrange, il semblait recroquevillé sur lui-même.

Juste avant la fin de l'heure, le Grand Inquisiteur décida de tester les connaissances de ses élèves et n'épargna pas Maël en l'envoyant au tableau pour quelques questions rapides sur les cours qu'il avait ratés. D'une voix monocorde, il répondit brièvement à chacune d'entre elle. À la stupéfaction générale, y compris celle de Maël, Ignatius Keanan lui accorda un quinze sur vingt alors qu'il n'avait pas compris la moitié de l'interrogation. Personne n'osa intervenir en souvenir de ce qu'il s'était passé avec Augustine et la cloche les libéra de leur séance générale de torture. La brunette se précipita pour pouvoir parler à son ami qui, assailli de questions par d'autres élèves, ne lui accorda aucune attention. La déception l'envahit. Elle espéra se rattraper pendant la récréation, une heure plus tard. 

Au début du cours suivant, la professeure Delcourt accueillit chaleureusement Maël et fit tout pour adoucir sa reprise, avec succès. À la fin de la leçon, il sortit rapidement de la salle l'air radieux suivi de Valentine et Cédric. Augustine se dépêcha de le rattraper, mais il disparut avec ses deux amis au bout d'un couloir. Quand elle l'atteignit, elle le trouva désert. Pendant la récréation, elle n'aperçut aucun des trois. Elle ne les retrouva que lorsqu'elle entra dans la salle de cours de biologie. Tous les trois étaient déjà assis à leur place respective et riaient ensemble. Ils ne parurent pas la voir, elle rejoignit sa paillasse au milieu de deux garçons qui redoublaient leur cinquième et dont les sous-entendus graveleux réguliers l'exaspéraient. Le programme du jour enchantait tout le monde, interrogation surprise pour tous.

Au bout d'une demi-heure, alors qu'elle commençait seulement à colorier son dessin à propos du cycle de la circulation sanguine, en bleu les artères qui arrivaient au cœur et en rouge celles qui en sortaient, Augustine se sentit soudainement mal. Son ventre semblait se tordre dans tous les sens, saisis par des spasmes intenses. Son visage devint rapidement moite. Au moment où les nausées firent leur apparition, ses gémissement parvinrent aux oreilles du professeure Tsédorus qui leva les yeux du livre qu'elle parcourait pendant qu'elle surveillait ses élèves.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant