La dent cassée

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Me voilà en CE2, toujours aussi solitaire et particulière. Je fais des bêtises, plus ou moins importantes, sans vraiment  comprendre pourquoi je les fais. Comme des violentes pulsions irréfléchies, incontrôlables. Comme ma mère qui déchaîne ces nerfs sur mon corps d'enfant.

Ma mère est extrêmement coquette et aime tout ce qui est luxueux. Dans sa chambre, qu'elle nomme comme "son QG de drag queen ", il y a beaucoup de maquillages de marque tel que Dior, Chanel, Lancôme... Un beau jour, j'ai eu l'idée de lui emprunter l'un de ces rouges à lèvres coûteux, en l'emmenant à l'école primaire. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai ressenti le besoin de faire une bêtise. Direction les WC des filles pour écrire sur le mur, avec : "Andréa". Allez savoir ce qui m'est passé par la tête ! 

Quelques minutes après, le directeur de l'établissement est venu me chercher. Trouver le suspect n'a pas été très compliqué. Ce jour là, ce fût mon beau-père qui est venu me récupérer à l'école. Aussitôt, il fût convoqué dans le bureau du directeur pour prendre connaissance de ma dernière oeuvre. Puis nous sommes repartis. Sur la route, je pleurais en craignant de la réaction de ma mère lorsqu'elle l'apprendrait. Mais Jacques ne voulait rien entendre, il devait lui dire, malgré les répercussions que ça aurait. Mon père m'aurait protégé, lui...

Nous voilà arrivé, Jacques lui explique la situation en lui montrant son cher rouge à lèvre complètement écrasé. Pendant ce temps je suis partie me réfugier dans la chambre, en attendant ma sentence. Dans ces situations j'ai toujours une boule d'angoisse dans mon corps, j'ai dû mal à respirer, j'ai envie d'arrêter le temps pour ne jamais vivre ce qui arrivera et souvent j'ai juste envie de mourir pour ne pas être là. Ma mère arrive d'un pas déterminé et se jeta sur moi. Il me semble avoir reçu quelques coups dont un coup de poing, qui m'a propulsé par terre, la tête en avant sur le carrelage. Quelques secondes après, elle repartie et je resta dans la chambre à pleurer. Pleurer pour ne pas crier. Pleurer pour évacuer ma douleur. Pleurer, car c'est tout ce qui me réconfortait. 

Un moment après, je suis allée dans la salle de bain pour me rafraîchir le visage. Dans le miroir j'ai malheureusement pris l'habitude de regarder les séquelles sur mon corps. Mais ce jour là, je ne m'attendais pas à découvrir qu'un gros bout de ma dent supérieur manquait. Celle de devant, placée au plein milieu de mon sourire. Un choc. 

Je suis remontée dans la chambre pour rechercher le bout manquant, mais je ne l'ai jamais retrouvé. Puis venant le moment d'aller manger. Ma mère a vu le morceau de dent manquant mais n'a rien mentionné. Ni de l'inquiétude, ni un pardon. 

Durant des années, ma mère m'a rabaissé avec cette dent cassée. Ça m'a enlevé beaucoup de charmes, je le sais. Sur les photos de classes elle me reprochait de sourire. J'ai donc arrêté de sourire durant de nombreuses années. De toute façon, je n'avais plus le cœur à sourire. Mais ce qui m'a fait le plus mal, c'est qu'après cet événement, ma mère a rejeté le fait qu'elle soit responsable de ça. D'après elle, je suis tombée seule dans les escaliers, et je suis remontée avec ma dent cassée. Elle a l'air tellement véridique quand elle parle de cela, que ça m'a mis le doute durant mon adolescence. Malheureusement, je ne suis jamais tombée dans les escaliers, et cette journée je ne pourrais jamais l'oublier. 

Par honte, je disais aux personnes que j'ai eu un accident de voiture et que c'est en tapant ma tête que ma dent s'est cassée. J'avais honte d'être une enfant maltraitée.

Je suis restée avec cette dent cassée de l'âge de 8 ans jusqu'à 17 ans. Prêt de 10 ans sans (vraiment) sourire. 10 ans de mal-être, 10 ans de dévalorisation, d'handicap. Et puis un beau jour, alors que j'habitais chez mon père, je suis allée chez le dentiste pour me la faire réparer. Un des plus beaux jours de ma vie. Un nouveau départ. 

Je me suis regardée timidement dans un miroir pendant des heures, et puis, j'ai appris à sourire.

Résilience, chronique d'une enfant maltraitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant