Chapitre 20

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Jack, assommé par un traitement médical lourd semblait ne plus contrôler ses faits et gestes. Les médicaments l'aidaient à maîtriser ses sévères addictions mais prenaient sur lui le contrôle de ses pensées. Il ressentait d'inquiétantes pulsions et devait prendre sur lui afin de les repousser. Elles gagnaient en ampleur psychologique et son psychiatre lui précisa qu'il s'agissait là, d'un effet secondaire du médicament, qui s'estomperait avec le temps.

Son revenu minimal obligatoire mensuel était très largement insuffisant pour couvrir la totalité des frais de son séjour et de ses soins. Ainsi, l'institut avait fait appel à un fond de garantie afin de financer le reliquat.

Un matin, Jack fut convoqué par la directrice et le médecin chargé de ses soins. Ils l'informèrent sur sa date de sortie et sur la nécessité essentielle de poursuivre un traitement en dehors de l'institut, afin de préserver et de garantir un équilibre émotionnel stable. Ils mirent l'accent sur le danger de l'alcool ainsi que sur sa vulnérabilité et sa dépendance envers ce poison. Il pourrait très rapidement replonger et se retrouver à nouveau alcoolique et toxicomane.

Il fondit en larmes. Il éprouvait énormément de difficultés à maîtriser ses émotions et souffrait d'une sensibilité excessive. La moindre contrariété lui semblait insurmontable.

Quittant le bureau, il pensa immédiatement à Claire et à son absence. Il se rendrait tout de même à son domicile, étant donné qu'il n'avait sur le moment, aucune autre solution.

Il se rendit vers sa chambre, afin de s'assurer qu'il avait toujours en sa possession la clé supplémentaire que Claire lui avait remis. Il constata, soulagé, qu'elle était bien présente dans sa sacoche. Il s'allongea alors sur le lit angoissé à l'idée de devoir quitter l'institut dans les prochaines 48 heures. Il serait livré à lui même. Il avala un anxiolytique et s'endormit rapidement.

Ses quelques affaires, dûment pliées et propres, remplirent à moitié un sac cabas identique à ceux utilisés pour faire les courses. Jack prépara avec minutie son départ. Il accordait une très grande importance à ses effets personnels limités. Il détestait ce sentiment qui nous envahit, au moment où l'on ferme la porte de chez soi pour une longue absence, persuadé que l'on laisse derrière soi un élément important et indispensable à notre séjour. Il prit une longue douche chaude et veilla à ce que ses affaires soient propres. Il se rasa et appliqua un restant d'eau de Cologne dans l'espoir, même minime, de revoir Claire à sa sortie.

C'est avec une boule au ventre et les larmes aux yeux qu'il franchit le portail. Il se retrouva sur un trottoir seul et coupé du monde. Le temps était gris et pluvieux. Un léger vent venait fouetter son visage et il prit la direction du métro.

Ses quelques pièces au fond de sa poche lui permirent d'acheter un billet. Assis, la tête posée sur la vitre du train, il fixait les rails du train voisin. Il ne comprenait toujours pas, comment en quelques années, sa vie avait pris une telle tournure, proche du chaos total. Une lente descente aux enfers. Il se croyait intouchable, comme la victime d'un accident de la route qui pense que cela n'arrive qu'aux autres.

- «Je pensais maîtriser et contrôler ma vie. Pourquoi moi? Pourquoi tant d'injustice? Qu'ai je fait pour mériter une telle sanction? Jusqu'où tout cela me mènera t-il?»

C'est alors qu'il remarqua qu'une adolescente l'observait avec insistance au travers de la vitre. Sans doute avait-elle remarqué, les yeux rougis de Jack, riches en émotion. Une énorme larme incontrôlable glissa le long de sa joue pour s'écraser sur sa cuisse et éclabousser sa main. Il préféra nier et rejeter son regard, il ne détourna pas les yeux des rails. Il pensa immédiatement à Paula qui devait avoir approximativement l'âge de cette jeune fille.

Paula, qui avait été toutes ces années sa joie de vivre et sa raison d'être. Il n'y avait pas un jour où il ne pensait pas à sa fille et aux moments passés. Son visage s'éclairait alors d'un bonheur disparu, il y a fort bien longtemps maintenant.

L'enregistrement vocal annonça la station attendue par Jack, il prit son sac et se dirigea vers les portes du train, en évitant et fuyant le regard de la jeune fille.

A peine était-il descendu du train, qu'une pensée déchirante le frappa sèchement.

«Peut être était-ce Paula dans cette rame?»

Après toutes ces années, éloignés l'un de l'autre, peut-être ne l'avait-il pas reconnue tout simplement. Ce qui expliquerait l'insistance de son regard.

«Mais non, je l'aurais immédiatement reconnue et elle est en France. Laisse tomber, continues ton chemin»

Jack rassuré reprit la direction de l'appartement de Claire qui se situait à une dizaine de minutes de marche du métro.

Au fur et à mesure qu'il avançait et s'approchait de son point d'arrivée, des questions se bousculaient dans sa tête.

Il arriva au pied de l'immeuble, il saisit le code qui n'avait heureusement pas changé et monta les escaliers, essoufflé et tremblant. Il avait terriblement peur de ce qu'il allait rencontrer.

L'appartement était au troisième étage, palier droit, porte en face. Il reconnut la sonnette mais la porte était tout à fait différente.

Son cœur s'accéléra et une vague de chaleur anormale commença à envahir tout son corps. Il sortit la clé de sa sacoche et remarqua immédiatement l'inconvenance avec la serrure. En vain, il tenta à plusieurs reprises d'enfoncer cette fichue clé et le désespoir prit place.

C'est alors que la porte s'entrouvrit et qu'un jeune d'homme, d'une bonne vingtaine d'années, apparut sur le perron.

- «Bonjour monsieur, je peux vous aider?»

Jack recula d'un pas devant la carrure impressionnante du jeune garçon. Une montagne de muscles et son polo semblait sur le point d'exploser en morceaux.

- «Excusez moi, je cherche mon amie Claire. Je dois probablement me tromper»

Le jeune homme dévisagea Jack de haut en bas et répondit calmement:

- «Vous devez certainement parler de la locataire précédente. Elle a rendu son bail il y a plus d'un mois maintenant»

Jack le savait bien mais fit mine de l'apprendre et s'excusa auprès du jeune musclé pour le dérangement. Il referma violemment sa porte, paraissant contrôler difficilement sa force.

Il s'adossa sur le mur latéral et après quelques minutes décida, avec tout le poids du monde sur les épaules, de redescendre et quitter l'immeuble.

Une fois dehors, il sortit son vieux téléphone à clapet, que son médecin à la maison de santé lui avait généreusement donné.

Jack réalisa alors qu'il était livré à lui même. Cette solitude l'avait conduit ici, le détruisant, le méprisant et l'anéantissant au plus haut point. Cette même solitude, amplifié d'un profond désespoir, allait le pousser à faire la dernière chose au monde qu'il avait envie de faire à ce moment-là.

Il ouvrit le clapet de son téléphone et composa le numéro de Jeanne.

- «Allô Jeanne, c'est moi. J'ai tout perdu, je suis à la rue. Aide-moi, je t'en supplie»...

Dr PerkinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant