Chapitre 1

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J'étais en retard. Très en retard. Il était dix heure passée et ça n'était pas bon pour mes affaires. J'avais très largement raté le réveil. Pourtant c'était quelque chose de difficile, sachant que le réveil en question était une antiquité comme on en trouve plus, une très belle pièce d'horlogerie montée dans un cadre en bois de jasmin tout ouvragé d'arabesque et de motif végétaux, surmonté de deux cloches, grosses mais néanmoins jolies, ouvragées également, entre lesquelles trônait, luisant, imposant, tout puissant, un marteau qui s'agitait à une allure folle, provoquant un vacarme infernal. Cet engin de torture, aussi fin et intelligemment conçu soit-il, avait un défaut : la sonnerie s'arrêtait au bout d'une seule petite minute. Et là était tout le problème, il me fallait bien plus qu'une minute pour sortir du coma dans lequel je me plongeais toute les nuits en m'enfouissant dans mon lit. C'est donc comme ça que je me retrouvais à filer comme une anguille, entre les passants obstruant les ruelles, vers l'académie de la ville : l'école du Temps Nouveau. C'était la seule école de tout Santa Katrina, donc autant dire, la seule école au monde. Cela me faisait bizarre d'employer cette formulation qui, vingt ans auparavant, aurait paru parfaitement loufoque. Mon cerveau me rappela que j'avais déjà deux bonnes heures de retard au premier cours de "la seule école du monde" et m'ordonna d'accélérer encore un peu plus le rythme si je voulais espérer arriver en classe avant la fin des cours de la matinée. Heureusement, je connaissais le dédale de ruelles par cœur. L'inconnu, en revanche, c'était les passants qui se trouvaient dans les-dites ruelles. C'est ainsi qu'en prenant un virage un peu serré au croisement de la place du Nord, je ne pus manquer de m'aplatir le nez, et tout le corps qui va avec, contre le dos d'un individu massif, tellement large qu'il occupait presque toute la largeur de la ruelle, plutôt petite à sa décharge. Je m'affalais au sol, sonnée tandis que le large bonhomme faisait volte-face, avec la vitesse toute relative que lui permettait ses cent kilos bien sentis. Alors que je me massais le nez, je vis la grosse main caleuse de l'individu fondre sur moi et me saisir par le col. Complètement groggy par la violence de ma rencontre avec cette armoire à glace, je n'opposais aucune résistance, et puis qu'aurais-je pu faire, moi qui étais si maigre ?

"Ça par exemple, tonna l'homme, dont je reconnu la voix à sa sonorité chantante et accentuée, vous voyez ce que je vois les gars ?!"

Un léger brouillard déformait ma vision du monde extérieur, mais j'en voyais suffisamment pour voir que le gaillard s'adressais à une bande d'homme en habits de marins qui étaient, sinon aussi large que lui, au moins aussi musclés. J'entendis des murmures interrogateurs, puis des éclats de rire. Ma vision se faisait de plus en plus nette et je sentis que l'homme qui me tenait par le col me reposais doucement à terre.

" Albane ! s'écria-t-il, mais qu'est ce que tu fais là ma belle, demanda-t-il en tentant maladroitement de rajuster le col de ma chemise qu'il avait froissé en me relevant de terre"

Je voyais tout à fait clair à présent, et je pus reconnaître complètement celui dont j'avais déjà deviné l'identité rien qu'à sa voix de stentor timbrée de miel et parfumée d'accents de lavande.

"Salut Nemo, répondis-je en terminant de masser le bout de mon nez endolori

- Mais qu'est ce que tu fais ici, ma sardine ? dit-il en posant affectueusement une main sur mon épaule ? C'est pas un jour d'école aujourd'hui ? 

- Si si, mais ... comment dire ?

- Laisse moi deviner, rit Nemo de sa puissante voix, tu as passé la nuit debout alors pour rattraper le temps perdu, tu t'es fendue d'une grasse matinée ! 

- Ce n'est pas tout à fait exact, corrigeais-je, mais oui, pour l'essentiel, j'ai raté le réveil, d'ailleurs ..."

J'allais ajouté que j'étais assez pressée et qu'il fallait que je reprenne la direction de l'école, mais soudain, Némo le géant passa ses larges mains, dont rien qu'une seule aurait pu m'envelopper la tête sans aucun problème, autour de ma taille et me souleva dans les air comme si je n'avais été ni plus ni moins qu'une cagette pleine de poisson pour finir par me poser sur ses épaule. Assise à califourchon sur sa nuque, c'est presque avec vertige que je vis à quelle hauteur je me trouvais du sol. Nemo se mit à rire de plus belle, puis il s'adressa aux hommes qui lui faisaient face, probablement des marins qui travaillaient avec lui. 

Santa KatrinaWhere stories live. Discover now