5. Bouquet de pivoines

45 6 0
                                    

Je ne sais pas exactement ce qui me fit exploser en premier. Le trop-plein de compliments dans cette phrase... Ou le fait que je sente beaucoup trop de sincérité dans son timbre. Je relevai la tête d'un seul coup en serrant les poings.

— Ça suffit ! criai-je, j'en ai marre de votre numéro ! Vous n'avez personne d'autre à emmerder avec votre petite stratégie de vendeur au porte-à-porte ? Vous vous prenez pour le roi des séducteurs avec votre accoutrement de prince de la mode, mais tout ce que vous portez pue l'arrogance et l'argent de vos parents ! Où est-ce que vous avez appris votre métier ? Avec des prédicateurs qui font du porte-à-porte ?

Il ouvrit la bouche pour parler, mais son visage resta crispé dans un sourire retombant.

— Je... j'ai fait une école de commerce aux États-Unis pour reprendre cette entreprise...

— Ah, vous avez des parents assez riches pour ça ? Ils vous ont payé une éducation, mais ils n'avaient pas assez pour vous apprendre le respect ? Vous faites fuir mes clients avec votre comportement ! On dirait... on dirait un petit garçon trop gâté qui a décidé de se venger parce qu'on refuse de lui offrir un jouet !

Il resta figé dans son expression de surprise, retenant son souffle.

— C'est ça que vous faites ? Vous voulez absolument vous venger parce que j'ai refusé votre offre ? Mais vous ne vous rendez pas compte ? Vous n'êtes que vendeur de thé ! Des représentants comme vous qui viennent essayer de refourguer leurs merdes, j'en ai toutes les semaines !

Je vis son visage s'empourprer et ses yeux s'écarquiller de colère. Je serrai les dents en sentant l'adrénaline remonter dans mes épaules alors que la peur se mit à se nouer dans mon estomac. Peut-être était-il du genre violent. Je n'en avais aucune idée. En tout cas, il avait l'air vraiment furax.

— Je ne vous permets pas de parler ainsi du thé de ma famille ! cria-t-il soudainement, explosant à son tour. Votre pâtisserie est très connue sur Internet ! Si personne ne vient chez vous c'est parce que certains internautes vous font mauvaise presse, je pensais vous aider en-

— Quoi ? Vous vouliez « aider » ? Je n'ai pas besoin de votre complaisance ! Vous vouliez faire la pub de votre minable petite entreprise en utilisant mon Instagram, c'est ça, hein ? Allez vous faire voir, vous et votre fausse compassion !

— Je... je n'ai pas besoin de faire la pub de mon entreprise ! Vous n'avez aucune idée de ce dont vous parlez !

— Et vous, vous vous croyez tout permis parce que vous avez de l'argent ! Vous n'avez pas compris que ce n'est pas comme ça que vous arriverez à me convaincre de quoi que ce soit ? Non, parce que tout ce qui vous intéresse, ce sont les apparences, vos belles chaussures, ma façon de m'habiller et votre petite victoire personnelle en réussissant à me vendre votre thé ! Vous êtes vénal, Mr Malhotra !

Il fit un pas en arrière, les sourcils relevés de stupéfaction. Cette fois, c'était à moi de toucher dans le mille.

— Vé...vénal ?

— Oui ! Dans votre apparence, dans votre petit jeu de séduction pour me vendre votre thé à la noix, dans votre attitude de gosse de riche prétentieux !

Le bouquet de pivoines tomba sur le pavé de la rue. Je baissai les yeux pour regarder les fleurs d'un rose irisé rebondir doucement sur la pierre, dans un mouvement ralenti.

En voyant quelques pétales se détacher de la tige, je sentis un sentiment de honte et de doute m'assaillir soudainement. Et si je m'étais trompée ?

Je n'arrivais plus à relever la tête, soudainement pétrifiée par la colère de l'homme qui se tenait face à moi. Je pouvais presque sentir la nervosité émaner de lui, et ses yeux furieux qui me transperçaient.

J'étais bêtement, stupidement, impressionnée par celui que j'avais mis hors de lui.

— Vous m'insultez, mais vous ne me regardez même pas dans les yeux, souffla-t-il soudainement en déchargeant sa colère dans ces derniers mots : je me suis trompé sur vous.

D'un coup de talon dans le sol, il se retourna brusquement et partit, marchant sur les fleurs au passage. Je me retrouvais seule au milieu de la rue, avec quelques passants matinaux qui me fixaient éberlués, moi, mes stupides rubans bleus dans les cheveux et un bouquet de pivoines fraîchement piétiné. 

Un étrange sentiment de fiasco total s'empara de moi alors que, la tête toujours baissée vers les fleurs, je remarquai un cordon de soie attaché aux tiges, au bout duquel pendait non pas une carte de visite professionnelle, mais bien un numéro de téléphone griffonné à la main. Ce que je venais de dire... Ce n'était pas moi. 

Je n'étais pas cette fille méchante, poussée à bout, qui ose attaquer quelqu'un sur son statut social comme une ado mal dans sa peau et jalouse. Pourquoi n'en étais-je pas restée aux faits, au dérangement qu'il avait provoqué à la pâtisserie ?

J'avais totalement perdu mon sang-froid.

D'un coup de pied plein de tension, je jetai le bouquet dans le caniveau. Après cet événement, je retournai au Blue Peony servir les premiers clients du matin, dans le calme absolu et l'ambiance cosy du salon de thé, qui me parut soudainement plus froide que jamais. Je passais l'après-midi plongée dans ma préparation de pièce montée, fignolant ma recette pour le concours national sans voir passer les heures. Lorsque je levai les yeux vers l'horloge du labo, il était 20h30 passées, et j'eus

l'impression de sortir d'un long rêve.

Je pris soudainement conscience qu'il me restait deux semaines avant le concours de pâtisserie, et cela faisait plus de sept jours que je n'avais pas eu le temps de travailler ma technique ! À la seconde où cette idée me frappa l'esprit, quelque chose se noua dans mon ventre, une anxiété qui ne me quitterait pas avant des semaines.

Le représentant des thés d'Assam ne revint pas. Ni le lendemain ni les jours suivants. Et les choses reprirent leur cours normal.

J'ouvrais le rideau de fer chaque matin en regardant le bouquet de pivoines écrasées dans le caniveau, auquel pendait toujours le petit papier griffonné d'encre, jusqu'à ce qu'il soit définitivement emporté aux ordures par les éboueurs le lundi suivant.  

Image: nouvel essai d'Ellie sur Picrew, vous en pensez quoi ? C'est moins cute que les précédentes, mais elle fait plus "femme" sur celle-ci !

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.

Image: nouvel essai d'Ellie sur Picrew, vous en pensez quoi ? C'est moins cute que les précédentes, mais elle fait plus "femme" sur celle-ci !


LONDON BREAKFASTWhere stories live. Discover now