8. Le Concours

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Et lorsque le matin vint réchauffer le sol boueux, j'étais là, devant les portes blanches, attendant au milieu de la rosée matinale et des immenses saules pleureurs que le photographe ait terminé son installation pour prendre une pause crispée et sourire.

J'avais été placée avec deux autres pâtissières au milieu de l'estrade, entourée des autres participants, tous des hommes, beaucoup plus âgés que moi. Des sommités dans le domaine, expérimentés dans tous les styles et aguerris aux cuisines des palaces. 

J'en connaissais beaucoup pour avoir déjà participé à d'autres concours contre eux, certains avaient été mes mentors lorsque je m'étais lancée en pâtisserie, d'autres encore m'étaient familiers parce que je les avais déjà vus dans des magazines spécialisés. 

Ça allait être un véritable carnage, et je prenais peu à peu conscience de ma place dans cette boucherie : sur l'autel central, attachée par des pieux, prête à être découpée comme un agneau sacrificiel. Ma seule consolation était que tous les maîtres de la pâtisserie moderne à mes côtés étaient certainement en train de penser la même chose.

Nous étions tous là, avec nos visages exsangues d'artisans tentant de sourire devant une foule de journalistes après une quantité phénoménale de nuits blanches, sans qu'il n'y ait plus aucune différence visible entre nous, tous couverts de nos tabliers, tous prêts à nous battre jusqu'au dernier souffle.

Une dernière photo de groupe avant le début de l'épreuve, et le carnage pourrait commencer. J'étais confiante. Je savais que certains de ces pâtissiers travaillaient dans des palaces où ils avaient toute une escouade de commis derrière eux pour éplucher la moindre poire et remuer les casseroles à leur place. Mais leur aptitude à commander des équipes ne leur servirait à rien lorsque l'ingrédient mystère serait révélé et qu'il faudrait se lancer seul.

Une immense tente avait été dressée au milieu du jardin de Windsor, dans laquelle vingt petits plans de travail étaient installés pour les candidats. Une estrade en bois meublée d'une longue table blanche censée recevoir la visite de la famille royale avait été dressée au bout de la tente, là où les jurés examineraient aussi les plats.

Après quelques photos supplémentaires, on nous invita à nous diriger vers la tente lorsqu'un des organisateurs nous fit arrêter sur le gazon pour nous annoncer que les membres du jury venaient d'arriver et qu'il y allait avoir une autre série de photos avec eux avant qu'on ne nous installe. Il y eut des murmures d'excitation dans le groupe et je sentis moi aussi une boule se nouer dans mon estomac.

Comme tous les autres, je n'avais aucune idée des personnes qui avaient été désignées pour nous évaluer. Tout le monde s'attendait à voir Marco Flannery, le chef de Buckingham Palace, mais des fuites au palais avaient laissé croire qu'il y aurait une dizaine de jurés tous issus de spécialités différentes qui seraient censés rendre compte des réalités du travail pour la reine.

Une voiture noire passa au bout du jardin et des personnes commencèrent à en sortir dans un cérémonial protocolaire insupportable. Je reconnus immédiatement Marco Flannery en tête, suivi d'un chef pâtissier français d'une grande maison parisienne.

Il y eut un chef japonais, deux autres britanniques, et une autre voiture noire succéda à la première, apportant un nouveau lot de célébrités, parmi lesquelles je reconnus immédiatement John Redwood, l'aventurier de la pâtisserie dont j'avais passé des années à suivre les émissions de globetrotteur culinaire religieusement. Comme à son habitude, il portait une veste de moto en cuir et ses cheveux gris et hirsutes étaient dressés sur sa tête en brosse. Même de loin, je vis le pétillement impatient dans ses yeux et je sentis mon cœur se soulever. J'allais concourir face à mon héros de la boulangerie-pâtisserie.

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