Chapitre 56

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Je restai là, assise sur le banc, devant les parterres de fleurs, regardant le coucher de soleil. J'avais toujours été fascinée par le spectacle qu'il nous offrait. Il me permettait, en plus, de rester proche de ma sœur. Elle aussi avait un faible pour lui. Je vis des enfants courir pour rentrer chez eux en hurlant de joie, après avoir passé une journée à s'amuser avec leurs copains. J'enviais leur naïveté, leur innocence. Moi, on ne faisait que de me la voler. À chaque fois que je me relevais, un autre coup m'était envoyé, me faisant, une fois de plus, retomber dans mes travers. Sans la guerre, on aurait pu vivre une vie tellement belle, loin de cette frénésie. On aurait pu voyager, rencontrer qui on voulait sans avoir peur des ragots, des rumeurs. Vivre sans penser aux conséquences. Bien sûr, je n'aurais peut-être pas rencontré Bruno, mais des tonnes de vies auraient été sauvées. Je donnerais tout pour revenir en arrière et éviter la guerre. La première n'avait pas réussi à en empêcher une autre. La soif de pouvoir était toujours aussi importante. Malheureusement, c'était la seule caractéristique des dirigeants. Les minutes passèrent sans que je m'en rende compte. Finalement, ce fut l'arrivée de Juliette qui me tira de mes pensées.

— Je savais que tu étais là. Depuis que tu vis ici, c'est toujours là que tu vas lorsque tu ne vas pas bien, prononça doucement Juliette.

— Ce lieu aurait pu être si beau, si innocent, si on ne vivait pas dans ces conditions.

— C'est vrai.

— J'ai parlé à Clémentine. Elle m'a raconté l'autre partie de l'histoire.

— Oh, je vois.

— Juliette, ne pense pas que je sois complètement dans leur côté. Ils t'ont fait tellement de mal, je le reconnais, mais tu devrais entendre leur version. Ce n'est pas aussi noir que ça.

— Écoute, Lucile, cette histoire remonte à plus de 20 ans. Ce qui est fait est fait. On ne va pas remonter en arrière. J'ai fait ma vie, ils ont fait la leur. Tout est bien comme ça, pas besoin de remuer le passé pour rien, expliqua-t-elle durement.

— Non, cette histoire n'est pas derrière toi, sinon, tu ne réagirais de cette manière. Tu es encore en colère. Tu fais croire que tu es passée à autre chose, mais tu souffres encore. Ça se sent.

— Lucile, arrête, vraiment. Quand bien même, je souffre, rien ne changerait. J'ai fait ma vie à côté de la leur. Pendant des années, j'ai côtoyé leur monde. J'ai fait avec. Je continuerai de cette manière jusqu'au bout.

— Mais tu pourrais...

— Stop ! Tu ne comprends donc pas. Que crois-tu qu'il puisse se passer après ? On se prend dans les bras et on devient ami ? Non, ça ne marche pas comme ça. Ils ont des enfants. Ils sont heureux, je ne veux pas plus. Je vois bien que tu es mal, que tu souffres, mais, il vaut mieux se concentrer sur Benoît, m'indiqua-t-elle, me faisant comprendre que la discussion était terminée.

— Comment va Maryse ?

— Elle a beaucoup pleuré. J'ai dû verrouiller la porte et cacher les clés. Elle serait partie sinon. C'est encore une enfant. Elle ne comprend ce qu'il se passe. Elle a fini par s'endormir il y a trente minutes, elle était exténuée.

— Je n'aurais jamais dû la faire venir.

— Pourquoi ?

— J'ai dit à Benoît que je la protégerai coûte que coûte, qu'elle serait en sécurité ici. Au lieu de ça, son père est entre la vie et la mort. Elle aurait dû rester avec sa mère, me lamentai-je.

— Ne dis pas n'importe quoi. Tu as fait ce qu'il fallait et tu sais très bien pourquoi. Tu voulais offrir la meilleure éducation à Maryse. C'était le meilleur choix pour elle. Grâce à toi, elle aura un avenir, un avenir qu'elle n'aurait jamais pu avoir en restant avec sa mère. Et puis, chez elle aussi, il s'en est passé des choses peu reluisantes de surcroît. Ne te tourmente pas ainsi, tu te fais du mal. Tu es épuisée, va te coucher. Demain est un autre jour, tout va bien se passer.

— Je ne sais même pas si je vais réussir.

— Il n'y a qu'un moyen de le savoir, va essayer, me poussa-t-elle avec sa mine de gentille autoritaire.

Je partis donc me coucher, la tête pleine d'interrogations, de peurs et de tourments. Cette journée était vraiment l'une des pires de ma vie, ou du moins, celle après la mort de ma sœur.


***


Finalement, le sommeil était arrivé jusqu'à moi, non sans mal, encore une fois. D'ailleurs, il n'avait pas été réparateur, c'était même le contraire. J'étais presque sûre d'être dans un pire état qu'hier soir, c'était dire. Lorsque je descendis, Juliette s'affairait déjà à la cuisine. Maryse avait les yeux rougis par les pleurs et je sentais qu'elle était prête à s'effondrer à tout instant. Je les saluai toutes les deux passablement, sans joie. Comment le pouvais-je dans une telle situation ? Avant que je ne puisse m'asseoir, Juliette me prit par le bras et m'incita à la suivre. Une fois, éloignée de la cuisine, elle se mit à me faire quelques confidences.

— Je sais que tu ne voulais pas que Maryse voit son père dans son état actuel, mais là, il faut faire quelque chose. Elle refuse de s'alimenter. Si on la repousse encore, elle risque de tomber. Déjà hier soir, elle ne voulait rien manger. Il faut pourtant, mais elle refuse de m'écouter.

— Je ne peux pas, son père est écorché de partout. Certes, le sang ne coule plus, mais il a des blessures, des entailles, des ecchymoses partout, pestai-je.

— Je suis d'accord avec toi, mais c'est son père. Elle habite à deux pâtés de maisons et puis il faudra la tenir au courant un jour ou l'autre. On ne va pas pouvoir continuer comme ça.

—Très bien, me résignai-je. Je vais d'abord y aller pour voir s'il y a eu des changements. Si je trouve qu'il est plus présentable qu'hier, j'irai la chercher.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now