Chapitre 5

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Une fois de plus, je me réveillai dans un endroit sombre et inconnu. Allongée sur le ventre, j'avais le menton douloureux d'avoir appuyé tout le poids de ma tête dessus. Le sol sous moi était froid lorsque je bougeais. Mon crâne bourdonnait encore de tous les chocs qu'il avait reçus. Je ramenai lentement mes bras à mon visage. Mes poignets étaient terriblement engourdis. Ma langue lécha le recouvrement du sol tandis que j'émis un étrange bruit de gorge. J'allais me redresser quand, d'un coup, j'aperçus une masse proche de moi. J'étais près d'un mur, et quelqu'un était assis dans le coin, juste devant moi.

– Salut.

Sa voix était si grave qu'elle semblait presque tremblante. Il avait mal choisi son moment. Avec tout ce que je venais de vivre, le moins qu'on puisse dire, c'est que j'étais sur les nerfs. En pliant les jambes pour me donner plus de force, je bondis sur lui et le pris à la gorge avec les deux mains.

– Mais qu'est-ce que tu fous ?

En plus, ce type que je n'avais jamais vu de ma vie me parlais comme s'il me connaissait. Je me mis à serrer de toutes mes forces.

– Hurgl... arr... ête... on est dans... la même galère...

Je m'approchai pour comprendre ce qu'il cherchait à me dire, et je discernai son visage dans la pénombre. Il avait les traits musculeux et presque carrés, avec une mâchoire fortement marqué et des cheveux clairs très courts, un peu comme les miens. Il était beau, mais surtout il avait le visage comme détruit : une traînée de sang sur le front, la lèvre éclatée et bleuie, les yeux comme encavés par les cernes et le manque de lumière. Il portait un t-shirt moulant dont une des manches était déchirée à l'épaule. Il n'articulait même plus, il émettait simplement des bruits de suffocation et de salive. Sans relâcher mon étreinte, je me retournai. À à peine quelques mètres de nous, il y avait une grille aux barreaux épais et étroits qui montait jusqu'à plafond, trop haut pour que je puisse le distinguer nettement vu l'absence d'éclairage. Un peu plus loin, il y avait à nouveau un mur, probablement un simple renfoncement. Je le laissai retomber, et il se mit à respirer bruyamment. Je me précipitai contre la grille. Évidemment, elle était fermée, et le couloir que j'apercevais de l'autre côté semblait n'avoir ni commencement ni fin. Il n'y avait aucune source d'éclairage visible de ce côté-là, ce qui expliquait cette noirceur pénétrante tout autour de moi. L'endroit sentait le renfermé, la chaleur des corps et même une espèce d'infâme relent de moisissure. Mais surtout, je me retrouvais enfermée avec un inconnu dans une cellule qui devait faire quatre mètres de long pour un mètre cinquante de large à peine. Il y avait de quoi devenir fou. Je sentais d'ailleurs que ça commençait déjà. Prise de panique, je me tournai vers lui, haletante. Toujours affalé contre le coin, il me regardait avec un sourire impénétrable et des yeux mi-clos.

– Tu es le premier être humain avec qui j'ai une vraie interaction depuis trois jours, m'annonça-t-il sans se départir de son petit sourire en coin.

– Mais arrête d'être aussi bizarre ! je lui ai hurlé dessus, à bout. T'es qui, d'abord ? On est où ? Pourquoi il n'y a rien ici ?

J'avais recommencé à l'empoigner et je le secouai par les épaules.

– Oh ! Je ne suis pas là pour que tu passes tes nerfs sur moi ! Calme-toi tout de suite ou tu vas le regretter.

Sur ce, il s'est redressé et, me prenant par surprise, il m'a plaquée sans ménagement contre le mur. Alors qu'il commençait à me serrer de plus en plus, il me lâcha subitement.

– Au fait, moi, c'est Boris. Essaie d'être un peu courtoise, parce que je pense qu'on a intérêt à bien s'entendre. Déjà que ce n'était pas grand pour moi tout seul... disons qu'au moins, c'est assez grand pour qu'on tienne à peu près couchés tous les deux. Si on commence à marcher, c'est tout de suite plus compliqué. Allez, sans plus tarder, je peux te faire une petite présentation des lieux. Bienvenue dans notre cellule, je suppose ?

Je me suis un peu écartée de lui et j'ai croisé les bras en m'appuyant contre le mur. Il était un peu humide, ce n'était pas très agréable, mais j'allais être obligée de m'y habituer.

– A ma connaissance, personne ne passe dans ce couloir. Mais bon, il y a tout de même un gars qui t'as jetée ici, même si je n'ai pas vu sa tête. Le premier jour, j'ai beaucoup essayé de crier, puis d'écouter ne fût-ce que pour trouver le bruit d'une respiration. Je peux donc t'assurer qu'on est seuls dans ce couloir. Je pense qu'il est un peu plus long que cette simple portion mais je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup d'autres cellules. Sinon, je ne vois pas bien pourquoi ils nous auraient mis ensemble. Comme tu peux le voir, c'est assez petit, et non, il n'y a pas d'autre espace caché, tout ce que tu vois est là, c'est-à-dire pas grand-chose. Rien qui ressemble à un lit ou à un siège. Là, l'espèce de boîte avec un couvercle dans le coin, c'est les toilettes. Et ici...

Juste à côté des « toilettes », il me désigna une forme rectangulaire dans la paroi qu'il souleva habilement du bout des doigts. La trappe découvrit un creux de trente-cinq sur vingt centimètres peut-être. Je me penchais et vis un seau et une espèce d'écuelle.

– C'est l'arrivée d'une espèce de conduite, précisa-t-il. Ils font tomber de l'eau et du pain par là de temps en en temps. Il y a aussi un peu de lumière qui vient par là, donc je suppose qu'il doit quand même y avoir de l'électricité quelque part dans ce bâtiment. D'ailleurs, tant que j'y suis à te faire part de mes réflexions, je pense que nous sommes dans une espèce de grand entrepôt désaffectée et assez bien isolé de l'extérieur. Aucune lumière ne passe et il n'y a pas l'air d'avoir grand-chose dans le coin. L'endroit où nous sommes ici est sans doute une espèce de dépotoir, un coin pour stocker des planches sans qu'elles tombent, par exemple. Ah, tu ne m'as pas dit ton nom.

– Joanna, ai-je répondu d'une petite voix.

Il m'a semblé que son sourire s'est élargi du côté droit.

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