Chapitre 2

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La soirée s'était finie comme ma pile de vaisselle : à un bon rythme et en grattouillant vigoureusement. J'ai lavé le sol de la cuisine, et quand j'ai eu fini, je me suis rendu compte que le patron était déjà parti. Les clients aussi d'ailleurs. Il n'y avait plus que Xavier et moi, et lui aussi n'allait plus trop tarder, étant donné que nous n'avions plus rien à faire, que tout était à peu près propre et qu'il était déjà en train d'enfiler sa bomber noire. Il n'avait rien dit ; c'était une forme de consentement. Je ne savais même pas si j'avais les clés, s'il pensait que je les avais ou s'il avait de lui-même compris que ce qui que ce qu'il pouvait faire de mieux pour moi c'était de m'enfermer. Toujours est-il qu'il est parti. Il a éteint la lumière dans la salle ; je me retrouvais parfaitement seule au milieu de la flaque blanchâtre de la cuisine, entourée d'une mer bleu nuit de pénombre. Je me suis détournée, je n'avais pas envie de croiser son regard ou de m'attacher à nouveau sur ses joues grumeleuses tandis qu'il sortait ; je n'ai pas entendu le bruit de la serrure. J'ai pris mon torchon et j'ai frotté un petit coin de sol ; en même temps, j'ai pressé l'interrupteur et il m'a semblé d'un coup que la cuisine devenait plus grande, une noire immensité de mystère, comme si un nouveau monde s'ouvrait avec l'obscurité. À quatre pattes, je me suis laissé glissé en poussant sur le torchon, doucement, doucement, jusqu'à atteindre l'évier. J'ai posé ma tête contre et ai fermé les yeux. Je sentais une espèce d'angoisse refoulé s'agiter en moi, comme si j'essayais désespérément d'avoir peur. Pourtant tout était paisible ; le bruit étouffé de mon cœur entre mes côtes et le ronronnement du monstrueux réfrigérateur étaient les seuls sons qui troublaient mon silence. Je suis tombée progressivement sur le sol. Entre les trolls et les ogres empilés qui peuplaient tout l'espace et m'empêchaient de respirer, je sentait ma gorge se nouer ; la parfaite sensation de la solitude se mêlait à des regrets que je n'osais pas formuler, et des larmes froides semblait couler à l'intérieur de mes joues. Le chaos qui pulsait dans mes veines semblait détruire tout autour de lui ; et c'est dans cette lutte silencieuse que je m'endormis. Cette fois-là, j'étais reconnaissante de ne pas avoir eu de souvenir de mes rêves.

***

Un claquement sec, suivi du bourdonnement des néons – et puis une lumière aveuglante qui vint s'insinuer entre mes paupières. C'est ainsi que je me réveillai. Lentement je redressai la tête – elle me parut étrangement légère par rapport à la masse de cheveux qui y pesait encore à mon réveil précédent. J'étais allongée sur le côté, la tête sur le torchon. Mes membres commencèrent à m'envoyer des vagues de raideur et de courbatures avant même qu'il ne commence à crier.

Une fois que mes rétine eurent digéré l'impact lumineux, je vis le patron debout dans l'embrasure de la porte. Ses sourcils broussailleux exprimaient la surprise et de ses mains étaient brutalement tombé sur le sol de grands sacs de courses réutilisable Delhaize. Je vis ses lèvres trembler et puis il balbutia, en haussant de plus en plus la voix :

– Que... Mais t'es encore là ?! qu'est-ce que c'est que ça ?! Qui t'as dit que tu pouvais rester là ? Clocharde ! T'as fouillé partout ? Qu'est-ce que t'as trouvé d'abord espèce de crevarde ? Allez ! Lève-toi !

Je ne comprenais pas. Ce n'était plus le même homme. C'était une métamorphose comme je n'en avais jamais vue. Sur le coup, je n'avais pas pensé à bouger, je cherchais une explication.

Il avança brusquement et m'attrapa par le col. Je me senti tirée et projetée à l'autre bout de la pièce.

– Dehors ! Dors dehors ! Je ne veux plus jamais te voir. Je ne sais pas ce que je pourrais te faire. Je connais des gens, moi ! T'as de la chance que j'appelle pas la police. Tes vieux, je suis sûre qu'ils vont te serrer un jour ou l'autre. Et si j'étais eux, je m'assurerais que tu rigoles un peu moins.

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