Boîte à musique

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C'était une petite boîte dorée. Elle ne semblait ni précieuse, ni spéciale. Et pourtant pour la princesse Asmine elle était tout. C'était les derniers vestiges de son passé, tous les souvenirs de son enfance, son pays natal enfermé dans cette petite boite.

Ça avait été un cadeau très simple de son père, surtout quand on sait la richesse du roi d'Evor. Mais il lui était bien plus précieux que tous les bijoux et robes qu'il lui avait offerte pour son mariage.

Depuis qu'elle s'était réveillée pour la première fois sur cette planète lointaine, dans un palais certes immense et luxueux, plus libre que jamais, quand elle s'était assise pour se faire coiffer par une armée de servante sa poitrine s'était serrée de mélancolie et désespoir.

Elle était seule, elle avait froid, elle ne parlait pas la langue et elle venait d'épouser un parfait inconnu, certes pas laid, mais pas vraiment beau non plus, mais tout de même un parfait inconnu. Il avait beau être à la tête d'une immense richesse, de commercer avec des dirigeants de tous les univers, elle ne l'avait jamais rencontré avant de le rejoindre devant le prêtre.

Elle avait beau être préparée à cela depuis sa naissance, la peur ne l'avait pas quitté depuis cette annonce. Et même maintenant qu'il n'y avait plus de retour en arrière, qu'elle s'était mariée, qu'elle avait installé toutes ses affaires ici, elle se sentait plus effrayée que jamais. Comment cela pouvait-il bien se passer eux qui ne se connaissaient pas, qui avaient des cultures tellement différentes et sur laquelle elle ne connaissait rien, des langues différentes ? Ils n'avaient même pas eu l'occasion de se parler hier avec tous ces invités et intimidés par ce nouveau statut.

Ce matin-là totalement effondrée, ne voyant pas comment toute cette situation pouvait bien finir, elle avait posé ses yeux sur la petite boîte. Elle a ouvert la boîte et une musique typique de chez elle, une flûte ou un instrument à vent du même genre, commença à s'élever dans l'air. Et une vague de sable factice semblait danser au rythme de la musique. Elle ferma les yeux tandis que les servantes passèrent le peigne dans ses cheveux. Des souvenirs de la maison lui venaient alors, la chaleur étouffante mais les servantes qui l'éventaient, les danseuses si envoutantes, le bruit de l'eau de la fontaine du jardin près de laquelle elle aimait s'assoir avec ses sœurs pour discuter et jouer, les caresses de sa mère dans ses cheveux.

Quand les servantes eurent fini de la préparer pour la journée, elle ferma la boite plus joyeuse et positive.

Cela devint son rituel. Et cela semblait lui porter bonheur.

Un an plus tard quand elle ouvrit la boîte elle était déjà très enjouée après une nuit agréable passée dans les bras de son époux si adoré, et elle avait hâte de commencer sa journée pleine de projets, qui devait l'amener en ville, négocier avec des systuikiens, puis visiter un hôpital dont ils étaient donateurs. Les souvenirs qui l'emplissaient étaient alors moins palpables, mais toujours aussi agréable.

Deux ans après, elle se plongea dans ses souvenirs, son bébé sur le sein. Elle se laissa plus porter par la musique et des impressions que de vrais souvenirs, pas de scènes, pas de visages, ces derniers de toute façon étaient devenus flous et elle savourait la peau de son enfant contre la sienne.

Trois ans plus tard, pour la première fois ce ne fut pas sa main qui ouvrit la boîte, mais celle de sa petite fille qui en aimait la musique depuis toujours et qui regardait le sable dansait avec de grands yeux fascinés. Asmine la prit sur ses genoux et elles partagèrent ensemble ce moment.

Des moments partagés avec tous ses enfants il y en eut de nombreux autres, comme il y eu de nombreux autres enfants. Même son époux fut accepté dans ce petit rituel et le soir avant de se coucher elle racontait à tous ses gens qui importaient tant pour elle des légendes de son pays ou les souvenirs les plus vivaces qui lui restaient.

Car les souvenirs s'évaporaient comme les années. Les enfants furent moins nombreux, partant tous dans un nouveau foyer où ils racontaient à leurs propres compagnons et enfants leurs souvenirs liés à cette petite boîte et des légendes évoriennes.

Avec les années les cheveux d'Asmine passèrent du noir au blanc progressivement, et de nouveau la tristesse vint sur elle et ses souvenirs devinrent plus brumeux que jamais à l'ouverture de la petite boite. Ses proches connurent la maladie voir le trépas. Elle-même sentait son corps se faire plus douloureux, son énergie disparaitre.

Et presque soixante ans après le premier jour elle ouvrit la boîte pour y trouver la force d'enterrer son époux qui l'avait accompagné toutes ces années. La musique ne sut apaiser son chagrin mais elle se souvint de ce premier jour, où elle était si désespérée, se sentait si seule et elle avait était si heureuse alors, si entourée. C'était la première fois depuis ce jour qu'elle se sentait seule.

Avec les années elle écouta la mélodie de la boite avec une certaine tristesse. Elle se souvenait de son pays, c'était même les souvenirs les plus solides qu'elle avait et pour la première fois elle commençait à avoir envie de le revoir.

Enfin soixante-dix ans après la première fois elle ouvrit la petite boîte juste pour s'allonger sur son lit, s'évader en esprit dans ce pays qu'elle n'avait jamais revu et qui avait toujours fais partie d'elle malgré que la majeure partie de sa vie s'était déroulé si loin. Elle s'endormit en rêvassant et la main qui rabattit le couvercle quelques heures plus tard ne fut pas la sienne mais celle de sa fille aînée.

Cette dernière, épuisée, désespérée après les funérailles de sa mère, s'assit sur son lit. Elle observa la petite boîte dorée entre ses mains, la boîte à musique de sa mère, le seul souvenir de son pays natal. Elle joua un peu avec. Puis après un soupir désespéré elle ouvrit délicatement la boîte, laissa couler la musique en elle et avec les souvenirs de sa mère. 

Les Murmures de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant