Danse macabre

Prologue

Lorsque naquit l'aîné de la famille Saint-Pierre, le temps s'arrêta un instant avant qu'il ne respire pour la première fois. Sa mère tremblante et moite de sueur froide mordait la pipe d'un ancêtre de son mari et froissait les draps du lit sur lequel elle accouchait. Sa belle-sœur guérisseuse accroupie devant elle pour sortir l'enfant de son ventre n'avait pas dit un mot, elle se concentrait simplement. Aucuns hurlements ne s'échappèrent des lèvres de Carolann Saint-Pierre. Même si au tout dernier étage du chalet il n'était peu probable qu'on entendit le moindre souffle, madame Saint-Pierre, de toutes ses forces intériorisait sa douleur pour ne pas déranger son mari dans ses entreprises vitales. Mackleon Saint-Pierre à la lumière flamboyante de l'immense cheminée proposait un verre de whisky canadien à l'érable de sa propre cuvée à un humain Clair-voyant. La mine sombre. Loïc Querellec, bon et juste vivait dans un petit village du Finistère. Sa femme et lui cherchait à avoir un enfant depuis tellement d'années qu'il accepta contre une lourde contrepartie, la joie d'un sortilège d'enfantement. La famille Querellec aurait la parenté si en échange ils juraient un mariage arrangé avec leur première fille et le sorcier à naître. Alors, ils n'auraient plus l'occasion de voir leur enfant autres que le jour de son anniversaire. S'ils avaient été choisis (au-delà de la claire-voyance de Loïc) c'est parce que leur Bretagne natale, empreinte de magie n'altérerait pas l'essence même de l'Enfant Protecteur, tout en la dissimulant.

« Vous avez bien compris de quoi il s'agit ? L'enfant sera une fille, à ses vingt ans nous viendrons la chercher et elle se mariera avec mon fils. Vous ne la verrez plus souvent.

- J'ai bien conscience de tout ça, mais ma femme, elle ne supportera pas une autre fausse couche. Elle désire avoir un enfant plus que tout au monde... Nous avons tous deux des êtres chers à protéger Mackleon, de quelques façons que ce soit, en dépit du prix.

- Alors c'est arrangé ?

- Oui.

Monsieur Saint Pierre sorti d'on ne sait où une fine chaine en or où pendait une plaque circulaire. Sur le bijou y était gravé le sceau des Saint Pierre et en latin : Ego protector tuus sum ; il renferma le collier entre sa main qu'il cella à la main du Clair-voyant. Leurs mains jointes illuminèrent la pièce une dizaine de secondes sous l'incantation silencieuse du Sorcier.

- C'est bon. Dans douze lunes...

Un éclair ébranla le ciel et un orage cria à la place du nouveau-né Saint-Pierre. Encore bleu de sang, comme un spectre de destinée lui jetant un funeste sort, Daimerik Saint-Pierre était déjà en proie à son dangereux destin. Durant les années qui suivirent, Caden, puis Iago devinrent les frères de l'enfant maudit.

Un an plus tard, à la date exacte de la signature du contrat entre les Saint-Pierre et les Querellec, Armance naissait en Bretagne, entourée d'amour et d'insouciance, éloignée de son futur.

En grandissant Armance Querellec avait la douceur de sa mère et l'intelligence de son père. Elle était joyeuse, enthousiaste, candide et généreuse, douée d'une abnégation aussi profonde que l'était son intelligence. Alors que jours après jours Daimerik était un peu plus fort, un peu plus proche de sa prophétie.

Puis leur rencontre eue lieu.

Après avoir passé six mois en Angleterre, Armance se décida à rentrer chez elle, dans la maison familiale de Bretagne suite à un appel de sa maman, triste de ne plus la voir. Armance avait toujours chéri ses moments passés avec ses parents. Ils étaient rares car ils travaillaient beaucoup. Cette maison était un véritable havre de paix et d'amour, ses volets vert pâle, ses pièces biscornues, pleines de recoins où la jeune Armance se dissimulait lors des parties de cache-cache. Sa cuisine où elle pâtissait des gâteaux pour son papa. Sa chambre où elle dormait dans des draps frais qui sentaient bon la lavande. Qu'est-ce qu'elle aimait la lavande ! Lorsqu'elle avait huit ans, elle en avait planté par massif dans le jardin.