Remuer le passé ?

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Une douce odeur sucrée se répandait déjà dans ma chambre lorsque je me réveillai ce matin. Intrigué par l'aspect inhabituel de la chose je descendis les escaliers quatre à quatre pour finalement trouver maman le sourire aux lèvres un tablier autour du cou. Je la fixai longuement d'un air intrigué avant qu'elle ne décide finalement de prendre la parole.

« - Bonjour à toi aussi mon chéri, je t'ai préparé des gâteaux je me suis dit que ça te ferait plaisir, dit-elle le plus naturellement possible.

- Bonjour maman, dis-je perplexe en essayant de ne pas paraître ingrat.

- Tu verras ils sont excellents, d'ailleurs j'aimerais en cuisiner d'autres pour la prochaine réunion du groupe de soutien. Je pense que ça ferait plaisir à tout le monde. »

J'avais l'impression de nager en plein délire puisque la veille maman m'avait semblé très froide et très gênée lorsque j'avais mentionné l'existence de Lili dans la vie de Marin. Aujourd'hui elle agissait comme si de rien n'était et cuisinait des pâtisseries dans le plus grand des calme alors que j'étais normalement le premier debout pour lui préparer son petit-déjeuner. Ne voulant pas la vexer et ayant toujours en tête la discussion que j'avais eu avec Jade hier soir, je décidai de m'asseoir et de goûter les gâteaux. Ils étaient infâmes mais comme maman fixait le moindre de mes faits et gestes je lui souriais bêtement en faisant mine de me régaler.

Aujourd'hui il fallait absolument que j'aille aider Madame Henriette à la bibliothèque. Elle n'était pas vraiment à cheval sur les horaires et me laissait beaucoup de temps libre mais cela me gênait d'en abuser. C'est donc une fois mes gâteaux avalés tant bien que mal que je me dépêchai de me changer afin de me rendre à la bibliothèque. Si je me débrouillais bien je pourrais éventuellement sortir aux environs de midi. Cela me permettrait ainsi de retrouver Jade pour que nous puissions commencer notre "enquête". 

Lorsque j'arrivai sur mon lieu de travail, Madame Henriette était assise derrière son bureau comme à son habitude et contemplait l'immense pile de livres qui se tenait devant elle.

« - Elliott ! Comment vas-tu mon garçon ? s'exclama-t'elle lorsqu'elle m'aperçut.

- Bien je vais bien Madame Henriette, et vous ?

- Oh tu sais bien, la vieillesse ne m'épargne pas mais seule la mort m'arrêtera !

- Oui je vous reconnais bien là, dis-je d'un air moqueur. »

Il faut bien comprendre que Madame Henriette malgré ses nombreux problèmes de santé au cours de sa vie, n'avait jamais cessé de travailler. "Le goût des choses bien faites" disait-elle souvent, même si j'avais de plus en plus tendance à penser qu'elle trouvait un certain plaisir presque pervers dans l'effort. Sa bibliothèque était la seule de notre petite ville et, ne vous y trompez pas elle était toujours rangée à la manière symptomatique d'une petite femme maniaque et perfectionniste. Tout était en ordre, c'était comme ça. Je pense que Marin aurait été plus à même de travailler ici, lui qui rangeait sa chambre comme s'il avait été à l'armée. Mais puisque j'étais le seul restant et qu'il m'avait bien fallu trouver un travail à sa mort, Madame Henriette avait dû se contenter de moi. Au début j'étais en retard et oubliais même parfois de venir, mais elle avait toujours fait preuve de patience vis-à-vis de ma personne, ce qui m'avait conduit à l'apprécier peu à peu. Elle avait fini par me considérer comme le petit-fils qu'elle n'avait jamais eu et ne loupait pas la moindre occasion de m'apprendre quelque chose de nouveau. Je venais donc l'aider à la bibliothèque plusieurs soirs par semaine pendant les périodes de cours à l'université et dès que j'en avais l'occasion lors de mes vacances. Finalement nous nous entendions plutôt bien et elle aimait parler de mon frère avec moi. C'était un peu comme une confidente venue tout droit d'un âge lointain, pour qui la mort ne représentait rien d'autre que l'ultime étape de la vie, et qui jamais ne laissait son esprit s'adonner au chagrin. Il fallait se réjouir parce que j'avais eu la chance d'être son frère et de le côtoyer pendant toutes ses années et je finirais bien par le retrouver au bout du chemin ; c'était tout. Et si au début je ne voyais pas bien comment je pourrais vivre sans Marin, ses discours me permettaient au moins de ne plus sombrer aussi violemment qu'avant. Elle me faisait l'effet d'un baume cicatrisant que l'on applique généreusement sur une plaie à vif et en contrepartie je l'aidais à ordonner la bibliothèque ; tout le monde était gagnant. 

Après avoir passé toute la matinée à classer et à ranger les livres dans les rayonnages, il était enfin temps pour moi de rentrer manger. Sur le chemin alors que j'étais au volant de la voiture de Marin mon téléphone sonna. C'était Jade. 

« - Allô Jade, dis-je en tentant de paraître le plus naturel du monde alors que la situation me dépassait.

- Salut Elliott, lança-t'elle joyeusement. Bon alors je te propose qu'on se retrouve quelque part cet après-midi. Je pensais qu'on pourrait aller chez moi pour fouiller un peu la chambre de Lili, je n'y avais jamais pensé avant de te rencontrer mais elle a peut-être laissé des objets ou quelque chose qui soit en rapport avec ton frère. Ça nous permettrait de commencer et avec un peu de chance on trouvera des indices sur leur relation. »

Elle débitait un grand nombre de choses à la minute et il m'était difficile de suivre ses propos. Mais il fallait bien reconnaître qu'elle avait raison. Si pour elle le couple Lili-Marin était normal et relevait du commun, c'était une nouveauté pour moi. Elle aussi venait tout juste de rentrer dans mon monde et je commençai à paniquer rapidement. Tout d'un coup alors que je continuai de conduire tout en percevant les paroles de Jade qui s'échappaient de mon téléphone, je fus pris d'une poussée d'angoisse magistrale. Pour la première fois depuis longtemps je me mis à trembler et à pleurer, incapable de me concentrer sur la route. Je m'arrêtai quelques mètres plus loin, les pensées m'envahissant de plus en plus, comme prêtes à m'étouffer de chagrin. Je n'étais plus convaincu de vouloir remuer le passé et notre discussion de la veille me tétanisait. Jade avait cessé de parler, sûrement en m'entendant fondre en larmes. Mais très vite sa douce voix me parvint à nouveau :

« - Elliott ça ne va pas ? Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t'elle timidement.

- ...

- Elliott réponds s'il te plaît tu m'inquiètes.

- Ce n'est rien, dis-je tout bas en tentant de rassembler mes esprits après quelques minutes de silence. Ce n'est rien je pensais à Marin et tu parlais de tout ce à quoi tu as pensé et je ne sais pas, pendant une seconde je n'étais plus très sûr de vouloir remuer tout ça, son passé, sa vie.

- Tu veux que je te rejoigne ? Tu as vraiment l'air mal.

- Non ça va ne t'inquiète pas, je te rejoins chez toi. Tu as raison il faut bien commencer quelque part. 

- Tu es sûr ? Parce que si tu ne te sens pas très bien pour faire ça aujourd'hui je peux très bien m'en occuper, ou alors on reporte.

- Non, non. C'était mon frère, je dois venir.

- D'accord je t'attends alors, sois prudent. »

Lorsque je me garai devant chez elle, elle m'attendait sur le perron la lèvre mordue et l'air inquiet. Elle s'avança vers moi et me pris dans ses bras comme pour me dire "ne t'en fais pas moi je suis là" ; je lui rendis son étreinte et nous nous dirigeâmes vers la chambre de Lili.   

© Alors que pensez-vous que Jade et Elliott vont trouver dans cette chambre ? 


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⏰ Last updated: Nov 17, 2019 ⏰

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Et sur le front de mer j'ai vu tes yeuxWhere stories live. Discover now