Chapitre 1: 1580-1600

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—Mon aimée, pourquoi ne dormez-vous point ?

— L'impatience de m'unir à toi, mon fiancé.

Il sourit, avant de se laisser happer de nouveau dans les méandres du sommeil. Juliana observa l'âme de l'assoupi. Brillante et vive, elle étincelait de piété et de créativité. Elle se révéla bien plus attirante et belle que ce qu'elle avait pu imaginer. À sa mort, elle l'emporterait chez elle, ne souhaitant en aucun cas qu'un joyau de cette splendeur aille décorer un autre palais que le sien. Désormais, cet esprit lui appartenait et elle ne permettrait pas qu'on le lui dérobe.

Dehors, le soleil se levait peu à peu, astre qu'elle n'avait plus aperçu depuis bien trop longtemps. Était-ce cela le luxe de l'humanité ? Avoir le loisir d'admirer chaque aube et chaque crépuscule jusqu'à la fin de leurs jours ? Au loin, des sanglots perturbèrent ses réflexions, pleurs d'habitants sur un corps qui n'avait pas survécu à la rigueur de l'hiver. Elle hésita à récupérer l'âme, mais elle s'abstint. Elle n'était pas là pour ça et rien ne devait la détourner de son objectif principal.

Aux premières lueurs du jour, la neige s'était subitement arrêtée de tomber et de nombreux habitants comméraient déjà à propos du nouveau couple. Comment cet éternel célibataire était-il parvenu à trouver une épouse qui le supporte ? Et surtout, d'où venait cette femme ? Ils avaient l'impression qu'elle leur était familière sans pour autant la connaître. Leurs esprits souhaitaient se rapprocher d'elle, de sa silhouette aussi élégante que banale. Les damoiselles jalousaient déjà sa beauté, alors qu'elle avait opté pour un physique des plus quelconques. Les humains, si fragiles, s'étaient laissés berner par son aura surnaturelle qu'elle n'était pas parvenue à camoufler complètement. Envie, colère, désir. Elle ne put réprimer un sourire en sentant toutes ces âmes s'agiter. Elles n'en seraient que plus délicieuses.

Accompagnés d'un Christen pressé, ils ne mirent pas longtemps à atteindre le bâtiment sacré. À peine en eurent-ils franchi le seuil, que Juliana fût obligée d'ensorceler le prêtre, qui avait perçu sa nature véritable. Facile à manipuler, il leur avait ouvert en grand les portes de la modeste église de quartier et s'était empressé de célébrer leur mariage. Aucun des deux hommes ne s'aperçut que les fleurs fanaient et que les flammes des bougies tremblaient. Les tombes scellées de la crypte frémirent quelques instants, avant que leur énergie rémanente soit absorbée.

« Jusqu'à ce que la Mort vous sépare. »

Cette promesse, bien que vide de sens, alluma un brasero de colère dans le cœur glacé de la nouvelle mariée. Pourquoi les humains rejetaient-ils toujours la faute sur elle ? Pourquoi l'accusait-on de tous les maux ? Et puis, elle emmènerait l'âme de Christen avec elle. Il serait du plus bel effet à côté de son trône. Si son esprit demeurait aussi splendide, il pourrait même devenir son roi.

Après leurs noces, Juliana observa longuement son alliance. Le froid du métal ne pouvait l'atteindre, mais son éclat la fit sourire. L'espace d'un instant, elle se demanda ce que Christen penserait s'il savait à quoi il était marié. Il périrait sans doute de terreur, comme n'importe quel humain. Son époux rayonna de bonheur à l'idée de pouvoir enfin procréer. Pour lui qui imaginait finir seul, cette opportunité représentait un miracle qu'il n'osait espérer. Il se trouvait désormais sur la bonne voie, ce chemin dont tous rêvaient à cette époque, celui de la famille et de la perpétuation du sang et de la lignée. Il fut inquiet que leurs nombreuses tentatives se soldassent toujours par un échec. Étaient-ils maudits ? Même Juliana, qui ne croyait pas en de stupides superstitions, commençait à penser que son unique souhait ne pourrait jamais être exaucé de par sa condition. Elle avait pourtant étudié tous les textes disponibles depuis la création de l'humanité. Il était impossible qu'elle ait raté une information. Et en dépit de son immortalité, elle trouva subitement le temps long. Cela ne pouvait pas échouer. Dans sa frustration, les sépultures les plus proches s'animèrent, mais elle parvint à se calmer avant qu'il ne se produise un drame. Sa patience fut récompensée lors de l'été 1579. Le miracle que le couple attendait, chacun pour des raisons très différentes, leur fut offert.

Le Temps dans ses yeuxWhere stories live. Discover now