Chapitre 2: 1600-1700

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Yomi, le royaume des morts ; aussi appelé le monde de l'impur. Dès qu'elle y posa le pied, la jeune femme eut l'étrange sensation que son corps était bien plus léger. À l'image des croyances shintoïstes, une grande partie du territoire n'était que putréfaction verdâtre, monstres difformes et esprits errants. La nature, figée dans un état de décomposition permanent et inodore, n'avait qu'un ciel d'encre sans étoiles aucune pour les protéger. Ici et là, elle pouvait entendre des rugissements et des grognements, provenant certainement d'âmes animales. Ce que Winnifred n'avait lu nulle part, c'était la splendeur de la résidence de sa mère, le Palais des sabliers. D'une blancheur immaculée, il incarnait l'unique source lumineuse de ce monde de ténèbres éternelles. Dorures et pierres précieuses inconnues ornaient l'entrée et les fenêtres. Lorsque la jeune femme pénétra à l'intérieur, elle prit plusieurs minutes pour se remettre de son émerveillement. Pourquoi personne n'avait-il jamais décrit tant de perfection et de beauté ? Pourquoi la Mort devait-elle nécessairement être sale et triste ? La porte se referma derrière elle et une agréable odeur lui parvint, un parfum réconfortant et chaleureux.

— Ta maison te plaît-elle, ma fille chérie ? Ce que tu sens est de l'amande. Je trouve ça reposant.

Pour la première fois de son éternité, Juliana éprouva de l'appréhension. Elle allait abandonner son apparence et son identité humaines et espérait que son enfant ne tenta pas de s'enfuir en hurlant. Mais Winnifred ne parvint pas à la trouver repoussante, bien qu'elle se doutât qu'elle le soit. Ses longs cheveux ébène l'étaient-ils vraiment ? Elle aurait juré y apercevoir des lueurs bleutées. Et que dire de son visage, à la fois si mortel et si monstrueux ? Et ses yeux ? Reflétaient-ils la beauté du firmament ou le tourment d'âmes condamnées ? Si on lui avait demandé de décrire physiquement sa mère, à cet instant, elle en aurait été incapable, tant il y avait d'informations contradictoires qui se disputaient dans son esprit. Elle fut tirée de sa réflexion par la voix incertaine de sa génitrice.

— As-tu peur de moi ?

— Non, maman. Je détaillais cette forme de toi que je n'avais jamais vu auparavant.

La Mort sourit, rassurée, dévoilant un bout de chair tuméfié.

— Winnifred, bienvenue chez toi. Suis-moi, je te prie.

Elles empruntèrent un escalier en héliotrope, la fameuse pierre de sang. La jeune femme comprit immédiatement ce choix, déjà fascinée par les veines carmin. Elle se promit de s'attarder ici beaucoup plus longtemps. Assez rapidement, elles pénétrèrent dans une salle aux proportions irréelles.

— Voici la pièce aux sabliers. Chacun d'eux représente une vie humaine. Dès que leur existence a fini de s'écouler, ils se brisent. Si l'un d'eux venait à être cassé avant la date prévue, cela pourrait avoir de graves conséquences. Et oui, cette salle change en temps réel en fonction des naissances et des décès. Je peux passer des heures ici à écouter la mélodie des instants qui s'enfuient.

Izanami referma la porte avec une infinie douceur.

— Mon rôle principal est de protéger ces sabliers et de m'assurer qu'il n'y a aucune anomalie.

— Comment ça ?

— Et bien, parfois, certains Hommes ont hérité d'anges gardiens un peu trop présents et voient leur temps se figer. Occasionnellement, des âmes ne parviennent pas à quitter le monde des humains. J'envoie généralement des faucheuses pour les récupérer, mais, contrairement à la croyance populaire, je ne suis pas coincée ici.

Elles déambulèrent ensuite dans un long couloir doré aux fragrances de rose.

— Voici mon endroit préféré, la bibliothèque. Toutes les connaissances du monde y sont retranscrites. À chaque nouvelle étape dans une civilisation humaine, des pages et des tomes sont ajoutés. Je te conseille fortement de t'instruire ici avant d'envisager de retourner chez les mortels.

Le Temps dans ses yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant