18. Miles

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Après les terribles aveux de Gabriel, nous sommes restés un long moment dans les bras de l'autre.
Je n'ai pas osé bouger, voulant lui laisser l'initiative et, pour être tout à fait honnête, je crois que j'avais autant besoin que lui de cette étreinte. Son récit m'a bouleversé, faisant remonter dans le fond de la gorge ce goût amer qui m'était tant familier à une certaine époque, mais que j'avais fini par oublier. L'injustice de la situation, de ce qu'il a subi, mais aussi de cette fausse impression qu'il a d'être fautif, d'avoir mérité ça, me révoltent et me font replonger dans un passé douloureux.

Parce que non, personne ne mérite ça. Absolument personne.

Quelqu'un qui est victime de violences sexuelles est une victime avant tout. Peu importe les circonstances, la manière dont cela est arrivé, quels vêtements étaient portés à ce moment-là, la façon dont cette personne a pu se comporter, ce qu'elle a pu dire, ce qu'elle attendait ou était venue chercher à la base. Parce qu'à partir du moment où elle a dit non, elle devait être entendue et respectée. À partir du moment où on lui a ôté son libre arbitre en la droguant pour mieux la manipuler, elle ne peut être considérée comme responsable. Parce que l'on doit toujours avoir le choix. Elle ne peut-être de toute façon jamais au grand jamais considérée comme responsable, même si elle a toutes ses facultés.

Le non est sacré.

Personne n'a le droit de juger une victime ou jeter l'opprobre sur elle, car rien ne justifie un viol. C'est l'acte le plus vil, le plus bas, le plus grave qui soit. C'est briser, détruire, avilir une personne dans sa chair et dans son âme, c'est la salir à jamais la rabaissant au rang d'objet. C'est la nier, lui ôter toute dignité. C'est lui ôter sa confiance en elle et envers les autres, biaiser sa vision des autres, d'elle-même et de la vie en général. Noircir son passé, flouter son présent, obscurcir son avenir. Rien ne peut excuser un tel acte, rien ne peut l'adoucir ou le rendre acceptable.

Le sexe, même s'il n'est pas forcément pratiqué avec amour ou sentiment, doit rester un partage, un moment privilégié que l'on vit à deux dans l'intimité et dans le respect de l'autre et non un moyen de dominer ou de punir. Gabriel, comme ma sœur, n'ont certainement pas cherché ou mérité ce qui leur est arrivé. Suzie pensait être fautive, car il s'agissait de son petit ami. Elle n'était même pas certaine d'être vraiment une victime, qu'il s'agissait vraiment d'un viol. Il lui a fallu une longue thérapie et l'aboutissement du procès pour qu'elle en prenne conscience. Quand le juge a reconnu et condamné, elle a enfin admis la gravité de ce qui lui était arrivé et qu'elle avait le droit, elle aussi, à cette reconnaissance.

Tout le monde n'a pas cette chance.

Gabriel ne l'a pas eue.

Il a l'impression d'être fautif parce qu'il est sorti dans l'espoir de se trouver de la compagnie pour la nuit. Il pense avoir mérité son agression, car il s'est laissé séduire au départ et qu'il avait envie de se lâcher. Ce n'est pas le cas. Sa liberté de refuser l'acte, même au dernier moment, lui a été ôtée par la drogue qu'on lui a fait prendre sans son consentement. Il ne pouvait plus se défendre, il ne pouvait que subir.

Il n'est pas plus responsable que Suzie. Son agression n'en est pas moins grave parce qu'il avait envie de s'amuser un peu ce soir-là. Il avait le droit de dire non. Il avait le droit de choisir si oui ou non il voulait se laisser aller avec ce type. Agresseur qui n'était peut-être pas seul, ce qui rend encore plus glauque la situation, même s'il n'y a pas vraiment de hiérarchisation de l'horreur.

Le pire de tout reste qu'il ne se souvient pas.

Il n'a non seulement pas eu l'opportunité de porter plainte, de se faire soigner correctement, mais en plus il ne peut qu'imaginer ce qu'il s'est passé. Or, l'imagination est souvent pire que la réalité. Ça peut devenir de la torture psychologique. En gardant tout pour lui, il s'est isolé et a empêché son entourage de l'aider et de l'entourer correctement. Il s'est laissé ronger par la culpabilité et la honte. Il s'est condamné en se jugeant coupable de quelque chose qui pourtant n'est pas de son fait.

Pour n'être qu'avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant