Chapitre 5

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La porte grande ouverte, je constate son absence. Tout en sirotant une gorgée de mon nectar, je pénètre les lieux et remarque des photos épinglées en vrac et sans cadre au mur. Il y a même des emplacements vides comme si certaines photos avaient été retirées.

Affublé de sa tenue militaire et à différents âges, je découvre par déduction le visage du défunt Clayton sur la plupart d'entre elles. Avec étonnement, je constate qu'il pose souvent en compagnie de mon sauveur d'hier. C'est une drôle de coïncidence, mais pas pour me déplaire. Mon souvenir de lui n'est pas exagéré, Nolan est canon avec ses longues mèches noires qui lui caressent les pommettes. Il a des airs de ressemblance avec Clayton. Mon observation m'amène à penser qu'ils pourraient être de la même famille, des frères sans doute, puis mes prunelles s'attardent sur l'aîné. Je dois reconnaître que ce dernier est sacrément beau dans le style ténébreux. Bien baraqué et un sourire à damner une Sainte. J'effleure du bout du doigt sa silhouette :

― Tu as perdu la vie si jeune. Pourquoi ?

Mes pensées s'interrompent quand je tombe sur une photo récente d'Archer. Et là, c'est un véritable uppercut dans le ventre qui me coupe le souffle.

― Mon Dieu !

Je la détache d'un coup sec et m'assois pour ne pas vaciller. En quatre ans, il est devenu le portrait craché de papa. Il lui ressemble tant. C'est dingue ! Des cheveux noir corbeau qui encadrent une mâchoire carrée. Ses yeux plissés par son rire figé sur le papier glacé sont à l'identique de ceux de papa. Le même bleu céruléen dont j'ai hérité. Ma gorge se serre d'une émotion aussi brute qu'intense.

― Pourquoi tu m'as abandonnée ? chuchoté-je d'une voix brisée. J'avais besoin de toi.

Le silence qui s'épaissit autour de moi accentue mon malaise. Je déplore avec tristesse d'avoir laissé ma mère expédier à la poubelle toutes les photos le concernant. À l'époque, j'étais tellement blessée qu'il ne soit pas présent à l'enterrement de papa et qu'il ne réponde à aucun de mes appels que je ne les ai même pas récupérées. C'est plus fort que moi, des larmes sillonnent mes joues pour tous mes regrets. Je me laisse aller jusqu'à ce qu'un raclement de gorge me surprenne.

― Je peux revenir plus tard si tu le souhaites ?

La voix rocailleuse du vieux biker me sort de ma lamentation.

― Non c'est bon ! C'est juste que... Rien.

― Tu n'as pas à te cacher avec moi. Depuis la mort de mon fils, on m'a vu dans mes pires jours.

― Mon oncle n'est pas mort, lui.

― Pourtant tu réagis comme si c'était le cas.

Touché !

Je ne le vois pas, mais je l'entends me contourner pour s'asseoir sur son fauteuil. Il me suffit de lever les yeux et de faire ma forte tête. Sauf que là, je n'y arrive pas. Les barrières sont rompues sans que je parvienne à faire semblant. À faire semblant que la trahison de ma mère et l'absence de nouvelles ne me touchent pas. Que la mort de mon père est derrière moi. Que le silence radio de mon oncle n'est qu'une déception, rien de plus. Que mon ancienne vie n'est qu'un vilain pansement à arracher pour en oublier la douleur et la peine. Foutaises ! Plus je suis en colère de me sentir si faible et plus mes sanglots redoublent d'intensité. Jamais je ne me suis sentie aussi vulnérable et honteuse.

Une boîte de mouchoirs apparaît sur mes genoux. Je hoquette.

― Merci.

― Il faut prendre soin de toi, me susurre-t-il.

Facile à dire, me brûle la langue.

― Je suis venue pour ça.

Je ne reconnais plus ma voix écorchée. À vif. Il dépose un verre d'eau fraîche devant moi.

Le vent l'emportera (Sous contrat d'édition chez Shingfoo Editions)Where stories live. Discover now