Chapitre 3

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À peine ai-je franchi la double porte, que l'odeur alléchante des cuisines chatouille mes narines et réveille ma gourmandise. Je détaille la grande pièce d'un œil émerveillé. Des tables en bois de différentes couleurs sont disposées de manière à permettre un large espace de passage pour le service tout en préservant l'intimité des clients. L'immense aquarium qui recouvre un pan entier de mur me laisse béate d'admiration. Un gigantesque récif de corail trône en maître sous le ballet incessant des poissons exotiques aux teintes aussi vives que variées. Sans m'en rendre compte, je me retrouve à seulement quelques centimètres de ce spectacle hypnotique quand une voix rocailleuse m'interpelle :

― Je peux vous aider ?

Je pivote et découvre un vieil homme à l'allure de motard derrière le comptoir. Avec son apparence négligée et son épaisse chevelure poivre et sel attachée en une queue-de-cheval approximative, il me dévisage tout en astiquant une chope de bière. Je marche en sa direction et lui réponds :

― Je l'espère.

Il dépose le verre. Les deux mains en appui sur la tablette du bar, il se penche vers moi.

― Je t'écoute, gamine.

G...

OK, à vingt ans ce surnom est assez vexant. Mais qu'il pense ce qu'il veut, je ne suis pas venue pour lui.

― Je souhaiterais parler à Archer Stanton.

Son absence de réaction m'interpelle autant que sa manière de me jauger.

― C'est pour quoi ?

― C'est personnel.

Il recule et croise les bras sur sa poitrine.

― Il n'est pas là.

― Il revient quand ? m'enquiers-je avec une pointe de déception dans la voix.

― J'espère que tu n'es pas pressée. On sait toujours quand il part, mais jamais quand il reviendra.

J'agrippe le bord du comptoir avec désespoir.

― Comment ça ?

Il caresse sa longue barbe comme le ferait un homme plein de sagesse.

― Qui le demande ?

― June Stanton. Sa nièce.

Il me fixe avec intensité. J'ai la sensation que quelque chose cloche alors j'insiste avec plus de fermeté.

― Où est-il ?

― Alors là, aucune idée. Lui seul le sait.

Mon expression décomposée tempère la lueur gris pâle de ses yeux. Il se retourne et farfouille dans un tiroir pour en ressortir un calepin et un stylo qu'il me tend.

― Note ton numéro. Il t'appellera dès son retour.

Le fera-t-il ? Hors de question que j'abandonne si vite.

― Il est toujours le patron de cet endroit, non ? l'interrogé-je avec entêtement. Il devra bien revenir.

― Un jour, oui. En attendant, c'est moi le responsable.

― Je peux avoir son numéro ? C'est important. Il me connaît et j'ai besoin de lui parler. S'il vous plaît.

Ma supplication me coûte beaucoup. J'ai l'impression d'être beaucoup trop vulnérable et lui, bien trop perspicace pour mon bien-être. Il secoue la tête et laisse planer un instant de silence.

― Archer est comme ça, me dit-il d'une voix plus adoucie. Quand il décide de disparaître, il est hors d'atteinte. Même pour moi.

Magnifique ! Je me braque pour masquer mon désarroi. Je me saisis du stylo et inscris mes coordonnées puis glisse le calepin vers lui, irritée.

Le vent l'emportera (Sous contrat d'édition chez Shingfoo Editions)Onde as histórias ganham vida. Descobre agora