Prologue

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CAPETOWN, CALIFORNIE

C'en est trop.

Je dévisage avec une amère déception cette femme qui n'a manifestement plus une seule once de bonté en elle. Cette parfaite inconnue que j'appelais il y a bien longtemps maman.

Son silence n'exprime aucun regret.

Avachie dans son fauteuil, devant la télé, elle n'éprouve aucun remords face à sa trahison. C'est à peine si elle me jette un regard. Une montée de larmes me submerge et la détresse me percute avec une violence inouïe quand je prends conscience qu'elle a volé l'intégralité de mes économies pour s'offrir toutes ses merdes éphémères.

Trois ans que j'épargne le moindre dollar après avoir payé les différentes factures, jonglant entre deux boulots, prenant même en charge une partie des travaux d'entretien de la maison. Cette réserve d'argent était mon passeport pour une vie meilleure, une vie pleine de promesses. Et là, elle m'a tout volé.

Je dois la quitter.

Je veux arrêter l'hémorragie qui empoisonne mes veines. Cette culpabilité de ne pas être parvenue à la sauver qui se déverse dans mon corps comme un fléau. Je veux arrêter de saigner et pour cela, je dois me libérer de mon bourreau.

― C'est fini. Je pars !

Son absence de réaction résonne douloureusement en moi. Il ne m'en faut pas plus pour me précipiter vers les escaliers et en gravir les marches comme si ma vie en dépendait. Je refuse de réfléchir à mon acte insensé. Je refuse de laisser place à la peur irrationnelle de l'inconnu qui m'attend.

J'ouvre brusquement la porte de ma chambre qui claque contre le mur. Bien. Chaque bruit me galvanise et renforce ma détermination. Lorsque j'observe mon reflet dans le miroir, ma longue chevelure châtain accentue mon teint blafard et fait ressortir mes quelques taches de rousseur. Mes yeux rougis sont cernés par une ligne violacée soulignant le gris orageux de mes iris. Le bleu céruléen a depuis longtemps disparu, englouti par la tristesse et ma vision amère de la vie. À peine vingt ans, et déjà en train de gâcher la mienne.

Plus maintenant ! Je m'en fais la promesse.

J'attache à la va-vite mes cheveux en une queue-de-cheval, puis attrape la valise avec une nervosité grandissante. D'une main fébrile, je chope une grosse pile de vêtements que je fourre à la hâte dedans et réitère l'opération jusqu'à dépouiller ma chambre de toutes mes affaires les plus personnelles.

Après un dernier regard, j'enfile ma veste en cuir et enfouis mon maigre butin de la semaine dans la poche arrière de mon jean. Je referme ma porte sur ces quatre dernières années, quatre années de calvaire. Moi, qui avais la naïveté de penser qu'à seize ans j'avais de super pouvoirs, ceux de sauver ma mère de tout son marasme émotionnel. Je pousse un long soupir alors que je réalise à quel point j'ai été stupide.

Alors pour me sentir mieux, j'ai envie de croire que si je disparais de sa vie, elle trouvera la force de se reprendre en main et de mener une vie moins décadente.

Arrivée en bas des escaliers, je l'aperçois près de la fenêtre. Elle s'abîme dans la contemplation du paysage extérieur, comme si mon départ lui était indifférent. Sans importance, me convaincs-je. Sans un mot, je me dirige vers la porte et agrippe la poignée. Au moment où je m'apprête à l'ouvrir, elle rompt le silence de sa voix monocorde, dénuée d'émotions. Je me retourne et la vois fixer ma valise avant de me dévisager comme si elle me découvrait enfin. Une émotion vulnérable, très fugace, mais indéniable, traverse se prunelles brumeuses avant qu'elle me confie :

― Ton oncle Archer doit toujours gérer le Heart Catcher à Medford. Dis-lui qu'il me doit du fric et qu'il me l'envoie au plus vite. Il a une sacrée dette. Il est grand temps qu'il l'honore.

Quel culot ! Comment ose-t-elle ?! Mes économies ne lui ont pas suffi ?! Ma colère gronde de nouveau dans ma poitrine et anesthésie ma souffrance. Nous nous dévisageons dans un parfait silence alors que l'incompréhension et la stupeur tourbillonnent dans ma tête jusqu'à cette question qui m'obsède : pourquoi me parler de lui maintenant ? Après quatre années à oublier son existence... Ça n'a pas de sens ! Pourtant, je m'accroche à cette information comme à une bouée de sauvetage. J'ai désormais un objectif.

Medford.

Un endroit qui m'empêche de sombrer dans le désespoir. Je l'observe alors qu'elle a à nouveau le regard rivé vers l'extérieur. Les secondes s'égrènent dans un parfait silence jusqu'à devenir trop douloureuses pour mon esprit malmené.

Le cœur lourd, j'ouvre en grand la porte d'entrée et laisse la brise légère de cette fin d'après-midi du mois de mars me caresser le visage. Sa douce chaleur m'accueille tandis que ses bras invisibles m'attirent tel un automate vers la sortie. Mais, juste avant de refermer derrière moi, je crie :

― Au revoir. Prends soin de toi !

Ce n'est pas un adieu. J'ai besoin de vivre pour moi, maintenant.

Je m'élance le plus vite possible jusqu'à ma jeep,balance mon sac dans le coffre, puis grimpe sur le siège conducteur. Lorsquej'allume le contact, je m'oblige à ne pas jeter un dernier coup d'œil endirection de la maison ― ce serait une grave erreur. Revenir sur madécision serait une grave erreur.

Le vent l'emportera (Sous contrat d'édition chez Shingfoo Editions)Where stories live. Discover now