Chapitre 12

72 17 15
                                    

Eva déglutit difficilement face aux trois paires d'yeux rivés sur elle. Elle ne savait pas comment commencer. Elle ne savait pas comment finir. Elle avait peur de la réaction de ses amis, de sa propre réaction face à leur réaction, de la réaction de ses amis face à sa réaction face à leur réaction.
Bref.
Elle avait peur.

Eva se força une énième fois à reprendre son souffle, à détendre ses mains crispées aux accoudoirs du fauteuil sur lequel elle était assise, et à enfin se libérer du poids qui pesait en elle jusqu'à la rendre malade.

— Il y a deux jours, déclara-t-elle finalement, un problème est survenue dans le vaisseau. Une sorte de panne électrique, qui à donc arrêté les machines d'aérations, éteints les lumières, verrouillé les portes... Je me suis réveillée en pleine nuit, il était peut-être trois ou quatre heure du matin ; honnêtement, j'en sais rien. La porte fermée hermétiquement ne permettait pas à l'air extérieur de pénétrer dans ma chambre, et la soufflerie était éteinte, alors...

— Alors il n'y avait plus d'oxygène.

Eva hocha la tête, les yeux fixés sur un point lointain. Les images d'horreurs refaisaient surfaces dans son esprit, une fois encore. Elle secoua vainement la tête pour se débarrasser de cette vision, mais les souvenirs continuaient de la hanter.

Elle s'attendait à ce que ses amis lui demandent de continuer, lui posent des question... Hors ils restaient silencieux. Leurs regards, qui ne la quittait pas, étaient comparables à des laser lui brûlant la peau, bien plus douloureux que de quelconques exclamations ou interrogations. Ils se contentaient d'attendre, sans qu'elle puisse deviner ce à quoi ils pensaient.

— J'ai réussi à sortir de ma chambre, après plusieurs minutes horribles... lâcha-t-elle dans un souffle. J'ai vraiment cru que j'allais mourir. Ensuite, j'ai vu que l'air été tout aussi rare dans le reste de l'appart', alors j'ai tenté de sortir, malgré le couvre feu.

Une nouvelle fois, elle fit une pause, s'attendant à des cris d'indignations. Seul le silence lui répondit.

Avec un soupire où perçait une pointe d'angoisse, elle reprit son récit. Elle leur raconta comment la porte avait résisté, puis comment elle avait usé de toutes ses forces pour la faire céder. Elle tenta d'expliquer l'état de détresse dans lequel elle se trouvait ensuite, et comment elle avait dévalé l'escalier sans même savoir où aller. Sa voix se brisa lorsqu'elle entreprit de rapporter les paroles qu'elle avait alors entendu de la bouche du Président, mais Chris la coupa enfin, les yeux écarquillés, où brillait une incompréhension totale. Il semblait venir de réaliser ce que la jeune fille leur déballait depuis déjà plusieurs minutes :

— Attends, attends, attends. Respire deux minutes, OK ? Tu es en train de nous dire que tu es sortit en plein milieu de la nuit après avoir échappé de peu à la mort, que tu as enfoncé une porte, bravant au passage une des règles fondamentales, avant de surprendre une conversation entre membres du gouvernement ? Et que pendant ce temps, je roupillais comme un bébé dans mon lit... Mais je ne comprends pas. Si un problème était survenue, on le saurait, non ? On aurait sentit qu'il n'y avait plus d'air, plusieurs citoyens se seraient trouvés dans la même situation que toi ! Et le gouvernement nous aurait prévenu...

Les épaules d'Eva s'affaissèrent, comme trop faibles pour porter la responsabilité d'expliquer l'entière vérité à ses amis — à savoir que le gouvernement avait choisi délibérément de leur cacher cette information.

— Le président à dit que les cinq premiers étages n'avait pas été touchés, choisit-elle de répondre. Peut-être que ça a été aussi le cas des étages supérieurs au vingtième... J'en sait rien, Chris. Je ne comprends pas non plus, mais le fait est que personne - personne d'autre que moi - ne semble s'en être rendu compte. Je ne sais pas si c'est un mal ou un bien.

— Eva, l'interrompit alors Jayden, d'une voix calme qui ne lui ressemblait pas. Raconte nous en détail ce que le Président à dit, s'il te plait.

La jeune fille mit un instant à lui répondre. Malgré elle, elle dévisagea son ami, qu'elle n'avait jamais vu aussi sérieux : les sourcils froncé, il fixait un point invisible juste derrière sa tête. La situation l'ébranlait, c'était certain, mais il réagissait avec une réserve surprenante.

— Et bien... Il a dit que nous aurions pu mourir, que les systèmes d'aérations s'étaient éteints, et qu'il ne fallait surtout pas prévenir les citoyens, sans quoi ils risquaient grosso modo de paniquer et de détruire l'équilibre faible qui maintenait la Ville depuis des siècles. Ou un truc joyeux dans ce genre là.

— Génial, marmonna Megan, prenant la parole pour la première fois. Donc si j'ai bien compris, ça craint un max, c'est ça ?

— Ouais, t'as compris l'idée.

Un silence pesant accueilli cette déclaration. Eva n'osa pas croiser le regard de ses amis, de peur de découvrir la même douleur qui l'avait hanté à la découverte de cette information. Elle ne se sentait pas non plus prête à leur avouer son plan beaucoup trop risqué... Même si il représentait la seule solution qu'elle ait pu trouver.

— C'est... commença Chris, qui se stoppa immédiatement. Il secoua la tête négativement, comme pour refuser d'accepter cette idée. 

— Je sais que c'est totalement perturbant... Et encore, c'est un euphémisme. Mais on a pas le choix : on est obligé de faire quelque chose, on ne peut pas rester les bras croisés comme si tout aller bien, même si ce serait bien plus simple.

— Eva, la coupa Jayden une seconde fois. Tu as dit que le vaisseau avait été privé d'électricité pendant quoi...deux minutes ? Ce n'est surement pas la première fois que ça arrive, si ? Le président a sans doute raison : partager cette information ne ferait que déclencher la panique. Le mieux, c'est de faire comme si tu n'avais rien vu ; il n'y a pas de raison de s'inquiéter.

— Tu rigoles ? explosa Eva, en se levant précipitamment de son siège. Tu m'écoutes depuis tout à l'heure ? Certes, la panne n'a duré que deux minutes. Mais la prochaine ? Et celle d'après ? C'est de la vie de tous les citoyens dont il est question, on ne peut pas se permettre de ne rien faire !

Jayden tourna son regard, fuyant celui d'Eva. Il semblait captivé par le mur blanc lorsqu'il répondit enfin :

— Ok. Alors faisons quelque chose ! (Il fit mine de réfléchir, avant de planter son regard dans celui de la jeune fille.) Mais, Eva, on ne peut rien faire ! Réfléchis deux minutes : on parle d'une panne du vaisseau, cet énorme truc qui nous permet de vivre, et dont plus personne ne connaît le fonctionnement. Donc à moins que tu ais des connaissances que tu nous cache, on est dans l'incapacité de faire quoi que ce soit. Je ne te parle pas de ne pas vouloir, mais de ne pas pouvoir.

Eva remarqua alors ses mains crispés, agrippé au canapé où il était assit. Ses yeux brillaient, et elle comprit alors que le calme qu'il affichait précédemment n'était qu'une façade pour cacher sa détresse.

La jeune fille reprit sa respiration, en tentant de contrôler le tremblement de ses mains, avant de lâcher :

— J'ai un plan.

Memoriae - Tome 1 : No man's landWhere stories live. Discover now