##25 - Charlotte

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« Ça va, Charlotte ? Tu veux que je te prenne le bras ? s'enquit Tobias, quelque part dans l'obscurité.

— Non, ça ira..., soupira-t-elle, à présent plus irritée qu'effrayée. On s'habitue. »

Charlotte avait l'impression désagréable d'être devenue la demoiselle en détresse que lui contait sa mère en la bordant. Protégée à distance par son frère, tuberculeuse, décédée et maintenant aveugle... C'est comme si le monde tournait autour de moi en permanence ! Ils changeaient l'avenir pour elle... C'est trop, je ne sais pas si je le mérite.

Si sa soudaine cécité avait un inconvénient, c'était sans aucun doute celui de ne plus voir Matthews. Elle n'avait pas daigné regarder autour d'elle en ressuscitant. Peut-être qu'il n'a même pas suivi les autres... S'il se trouvait derrière elle, il le cachait bien : elle ne l'entendait absolument pas.

« Dis-moi où on est, au lieu de me détruire le bras, demanda-t-elle à Armand.

— Je serre trop fort ? s'étonna-t-il, la voix encore abîmée par le deuil.

— Si quelqu'un nous attaquait, je ne pourrais même pas tenir un sabre ! Tu m'écrases ! »

Elle le repoussa avec un sourire malicieux, mais Armand tint bon.

« Si je te lâche, tu vas trébucher sur la barque !

— J'en déduis que nous allons remonter. Qu'est-ce qu'on va faire, là-haut ? L'équipage ne voudra jamais nous suivre à Narbonne, si c'est pour combattre sans rien piller !

— Ils seront surtout très heureux de te voir en forme ! Le reste... on verra bien. »

Armand lui ébouriffa les cheveux, comme au bon vieux temps, mais retira précipitamment sa main avec un cri étranglé.

« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Charlotte, alarmée. C'est Nälkäinen ?

— Non, rien, ce n'est rien. »

Est-ce que mes cheveux sont sales ? Elle voulut vérifier, mais Jackson l'attrapa subitement sous les aisselles et la jeta presque dans la barque. Charlotte entendit cinq personnes s'installer à bord. Matthews... Il est là. Elle mourait d'envie de prononcer son prénom, de lui parler, de savoir s'il avait l'intention de rester avec eux. Il partira. Il a un équipage à mener, des pirates à massacrer... La chance leur avait souri jusqu'à maintenant : un capitaine de la British Royal Navy qui les aidait lors d'un voyage dans le temps et l'espace ! Le rêve devait se terminer, à présent.

Son estomac lui indiqua que la barque remontait à la surface. Elle n'avait pas le mal de mer, loin de là, mais n'avait jamais affronté les flots en se passant de ses yeux. Armand prit ses mains dans les siennes pour la rassurer.

« L'équipage est au complet, lui apprit-il, joyeux.

— Combien sont morts en même temps que moi ? J'étais dans la cale, je n'ai pas vu grand-chose.

— Une trentaine, je pense. Je n'ai pas vraiment vérifié moi-même...

— C'est le genre de choses qu'il ne faudra pas leur dire, intervint Jackson après un long soupir. C'est tout-à-fait normal que tu privilégies ta sœur jumelle, mais l'équipage est aussi ta famille ! »

Armand bougonna quelque chose d'indistinct, et Charlotte crut entendre Matthews laisser échapper un petit rire sec. Parle-moi ! Dis quelque chose !

Une acclamation de joie secoua le HMS Jolly lorsque la barque toucha la coque du navire.

« Charlotte ! s'écria Marco. C'est Charlotte, elle va bien ! »

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now