##8 - Charlotte

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Charlotte aurait sans doute frappé Armand, s'il ne lui avait pas fait si peur. Elle ne l'avait jamais vu saoul à bord du HMS Jolly, même si elle le soupçonnait de ne pas tenir l'alcool, et il ne profitait pas des escales pour s'enivrer plus que de mesure.

Postées près de l'entrée du Ritz, les deux jeunes femmes respiraient calmement l'air frais d'octobre qui traversait les rues de New York. Les spectateurs se dispersaient au fil du temps pour rentrer chez eux ou boire une dernière bière, épuisés par le concert. Charlotte avait presque perdu l'ouïe à force de se faire hurler dessus par les chanteurs des deux groupes, bien que le percussionniste soit devenu un adversaire de taille au fur et à mesure que le concert atteignait son apogée sonore. Ces chevelus sont des sauvages !

Kadi semblait à peine fatiguée par le spectacle. Elle a dû passer son temps debout, quand elle était esclave. C'est vraiment affreux... Elle surveillait la rue bien plus attentivement que Charlotte... du moins en apparence. La jeune femme de Sierra Leone avait d'autres pensées que McHale derrière la tête.

« Qu'est-ce qu'il se passe entre Armand et Tobias ? lui demanda-t-elle sans prévenir.

— Euh..., hésita Charlotte. Je ne sais pas si tu pourrais comprendre.

— Je ne suis pas ignorante à ce point, répliqua Kadi, je peux écouter et analyser ce qu'on me dit. »

Peinée de la voir réagir ainsi, Charlotte s'excusa immédiatement.

« Je ne voulais pas t'insulter, c'est juste que... Ce n'est pas très commun, chez nous.

— Ils se détestent ? J'ai cru entendre que Tobias avait voulu vous espionner, c'est ça ?

— En fait, c'est l'inverse. Je pense qu'ils s'aiment. »

La surprise apparut sur le visage de Kadi plus rapidement que le scorbut sur un bateau pirate.

« Ils s'aiment... comme des amoureux ? demanda-t-elle, sans une once de dégoût ni de reproches.

— Comme des amoureux mais qui ne veulent pas s'en rendre compte, dit Charlotte avec agacement. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive et se disputent toute la journée. Ils passaient leur temps à se chamailler, en Angleterre, et ça continue dix ans plus tard !

— Ils se poignardent, aussi. » remarqua Kadi avec une moue inquiète.

Charlotte frissonna. Effectivement, ils avaient raté leurs retrouvailles. Mais c'est bien leur genre, honnêtement.

« Ils se sont amusés pendant le concert, c'est déjà ça, tenta de la rassurer Charlotte. Mais assez parlé de ces deux idiots, ils sont irrécupérables tant que Tobias sera dans cet état.

— Tu penses que ça ira mieux après ? s'enquit Kadi. Tobias est une bonne personne, tu sais. Armand pourrait bien s'entendre avec lui.

— Il leur faudra du temps, et Tobias sera soigné quand ça arrivera. »

Charlotte fut prise d'une quinte de toux. Elle inspira longuement en entendant sa respiration siffler dans sa poitrine.

« J'attrape le mal à cause de ce fichu McHale, maugréa-t-elle en toussant à nouveau. La différence de température m'aura donnée la crève ! »

À une vingtaine de pas d'elle, Charlotte reconnut le propriétaire bronzé du Ritz. Dans la brume de son début de fièvre, elle fut prise d'une deuxième inspiration soudaine depuis qu'elle l'avait rencontré. Il va me jeter, mais je dois essayer quand même. Elle fit signe à Kadi de rester à côté de l'entrée et se dirigea vers lui.

« Excellent concert ! s'exclama-t-elle, coupant violemment la parole à son interlocuteur.

— Encore toi ? fit-il, plus irrité que jamais. Va-t'en ou j'appelle la sécurité !

Deus Sel MachinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant