##13 - Armand

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Tandis que le HMS Jolly s'éloignait de Nassau, Armand devait calmer les ardeurs de son équipage.

« Il vaut mieux hisser le pavillon britannique, pas le Jolly Roger !

— Mais c'est notre drapeau ! s'exclama le gros John, les yeux vitreux d'avoir tant bu la nuit précédente. On en est fiers !

— On pourrait croiser la British Royal Navy ! rétorqua Armand. Je suis sûr qu'ils nous attendent, et personne ici n'est en état de les combattre ! La moitié de l'équipage est malade, dont les meilleurs bretteurs, et Matthews est sacrément coriace. On ne sera pas sauvés à chaque fois par la chance, surtout en quittant Nassau. »

Les pirates acceptèrent finalement de le laisser monter le drapeau anglais en haut du mât. Autant ne pas se condamner à mort au bout de cinq minutes, ce serait gênant. Armand voulut donner quelques indications à Bill, à la barre, mais Mortimer l'attendait de pied ferme près du gouvernail.

« Quand est-ce qu'on ira en 1809 ?

— Tu es impatient ? s'amusa Armand, bien que son visage ne s'illumine d'aucun sourire. Je voudrais m'éloigner de la côte pour être sûr que personne ne nous entoure. Quand la mission sera finie, la vie reprendra exactement là où nous sommes partis, et tout le monde sera épuisé... Si des bateaux nous attaquent parce qu'ils étaient déjà là, ce sera catastrophique. Tu comprends ?

— À peu près, enfin... C'est pas trop sûr. On n'aura pas l'air louches si on est vus par des gens, c'est ça ? Le bateau ne va pas disparaître devant tout le monde ?

— Non, de ce côté-là, tout ira bien. »

Armand ordonna à Bill de se diriger vers l'ouest, en direction de la plus grande île des Bahamas. Il espérait éviter les convois de marchands stationnant aux abords de Nassau, assez armés pour les envoyer au fond de l'océan. Peut-être qu'en restant entre les deux îles, on sera tranquilles. Le HMS Jolly se retrouva assez rapidement au milieu d'un grand rien, sans aucune terre à l'horizon.

Armand en profita pour retourner voir Charlotte. Elle dormait à poings fermés, flanquée de Tobias et Kadi. Tous deux semblaient plutôt en forme, malgré la nuit bruyante et arrosée que leur avaient imposé les autres membres de l'équipage.

« Je suis content de te voir, dit-il à Kadi, ignorant soigneusement Tobias. Tu vas bien ?

— Pas de tuberculose à l'horizon, répondit-elle en haussant les épaules. On va aller en Chine, alors ? J'ai entendu des hommes en parler, mais je n'ai pas saisi tous les détails.

— Ce sera difficile et dangereux. Si ça tourne au vinaigre, on rentrera chez nous d'urgence ! Je ne veux pas détruire mon équipage plus que la maladie ne le ferait, ce serait irresponsable. »

Kadi acquiesça puis reporta son attention sur la respiration laborieuse de Charlotte. Sans un regard pour Tobias, Armand retourna sur le pont et prit une longue inspiration. Je me sens ridicule, vraiment. Pourquoi n'était-il pas capable de lui dire ce qu'il ressentait ? Un capitaine de piraterie qui fuit une conversation... Pathétique. Il n'avait pas fait trois pas vers le bastingage que la moitié de ses hommes courait vers lui.

« Cap'taine, c'est encore eux ! criait Joe.

— Qui, la British Royal Navy ? s'alarma Armand en écarquillant les yeux.

— Oui, regarde ! »

Il se précipita vers l'avant du navire et reconnut l'énorme vaisseau qui les avait attaqués. Armand déglutit et souffla violemment pour se concentrer. C'est mon rôle, c'est à moi de prendre une décision. Je ne peux pas être capitaine les jours de calme et me défiler quand tout part à vau-l'eau.

Deus Sel MachinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant