Chapitre 5 - Une motocyclette et une corde de chanvre

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Il y eut un grand moment de silence puis les trois compères se secouèrent un peu. Le tonnerre grondait au loin et la température se rafraîchit d’un seul coup. Sans dire un mot de plus, Skin, Magané et Trou-de-Pique se levèrent et marchèrent vers un endroit moins éclairé. C’était dans leurs habitudes de fomenter quelque plan loin des regards indiscrets et l’expérience leur avait appris à réagir de la sorte de façon instinctive. Et ce n’est pas parce qu’on se retrouve 50 ans en arrière qu’on doive se laisser aller, au risque de se faire coincer par la police.

            « Ok, on s’en retourne à la cabane. » déclara Skin en enlevant des brindilles d’herbe séchées sur son pantalon.

            « Mais la cabane… » commença Magané.

            « Tiens, tu ne râles plus? » le coupa Skin.

            « Skin, Magané a raison. La cabane est occupée par quelqu’un d’autre. On ne peut pas… »

            « Pourquoi pas? On frappe (la porte, c’est évident. On frappera le gars après s’il ne veut rien entendre) et on jase avec le gars. Pas besoin de lui faire un dessin ou de lui dire la vérité. On entre. Peut-être qu’il va nous inviter à coucher. Peut-être qu’il a de la bière… »

            « Skin, tu es vraiment une nouille de première classe, fit Trou-de-Pique. Tu te crois dans Alice au pays des merveilles ou dans le Magicien d’Oz! On ne sait rien du propriétaire de la cabane. Et si je me fie à ce qu’on a trouvé derrière la porte quand on a décidé d’en faire notre quartier général, je ne suis pas sûr de vouloir lui parler. »

            « Troud, tu sais que je te respecte et que tu es le plus intelligent de nous tous mais faut pas abuser de tes neurones de crétin avec tes explications de femmelette. Tu penses vraiment que le squelette d’un chat peut passer 40 ans cloué sur une porte en bois? Et puis, qui a jamais entendu parlé d’un tueur en série à St-Bernadet? Franchement Troud, des fois, tu me déçois. »

            Magané regardait ses deux amis se renvoyer la balle avec leurs explications et cherchait quelque parole à ajouter. Mais chaque fois qu’il arrivait à bredouiller un mot, c’est un des deux autres qui reprenait le flambeau et la joute oratoire reprenait de plus belle. Il décida donc de marcher sur l’asphalte et revenir sur leurs pas, soit vers la cabane et la maison du Notaire, les seuls lieux qu’il reconnaissait. Bien-sûr, il avait reconnu la maison des St-Laurent mais la plupart des habitations semblaient trop neuves et, malgré le fait que ces maisons au 21e siècle étaient défraîchies, abandonnées ou carrément en ruines, elles lui faisaient moins peur. Il détestait son présent mais celui-ci lui donnait une nausée constante. Le vertige de savoir que leur téléphone cellulaire ne fonctionne plus, qu’il ne pourrait aller clavarder avec sa gang de Chicoutimi demain matin, qu’il ne pourra plus jamais, oui, jamais aller louer un DVD porno, et que ces gens ne connaissaient pas ce qu’était un micro-ondes, un agenda électronique, une télé en couleurs ou le modem-câble à haute vitesse n’était qu’une infime partie de son désarroi. Plus de pompe pour son asthme! Le seul fait d’y penser l’asphyxiait. Il devait de répéter continuellement les mots du docteur pour se calmer et arriver à respirer de nouveau. Mais il trouvait curieux de récupérer si rapidement. Comme si l’air de la ville avait changé, rempli d’une électricité, ou d’une énergie différente de celle qu’il avait toujours connue. Cela lui rappelait leurs voyages à la montagne ou au bord de la mer, quand il suivait encore sa famille. Il respira un bon coup et en fut presque étourdit de bonheur. Il se sentait mieux. Moins nerveux à l’idée de mourir sans air. C’est lui qui entendit le bruit de la motocyclette le premier et c’est lui qui fit signe au deux autres qui s’obstinaient encore tout en le suivant de loin.

L'armoire du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant