Chapitre 4 - La maison de Skin

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La marche du trio le long du boulevard semblait s’éterniser. Aucune voiture ne passa sous le halo froid des lampadaires. Des musiques à la Big Band se faufilaient entre les saules pleureurs et les maisonnettes curieusement rafraîchies. Ils virent les bouteilles de lait vides sur les perrons éclairés d’une faible lumière. Skin marchait plus rapidement que les deux autres et s’arrêtait de temps en temps, tapant du pied, les toisant du regard lorsqu’ils le dépassaient sans oser le regarder. Bien vite, il reprenait la cadence militaire et la semelle de ses bottillons noirs claquaient sur l’asphalte jusqu’au prochain arrêt. Trou-de-Pique marmonnait : Je n’aime pas ça. Ça va péter de tout côté… Et Magané, à chaque fois, demandait ce qu’il venait de dire. L’autre se contentait de hausser les épaules et pointer la silhouette de Skin qui menait une bataille interstellaire avec les cailloux en les envoyant valser dans les parterres trop propres.

Ils arrivèrent enfin rue Jacques-Cartier, une des plus vielles du quartier. Skin soupira et ouvrit ses bras comme s’il animait un spectacle et dévoilait la star de la soirée :

« Regardez-moi ça, professeur Einstein. Votre théorie de trou dans le temps s’avère être une autre vos niaiseries pour faire peur aux pisseux-dans-leur-culotte. La maison de Margot… En bonne et due forme. »

Trou-de-Pique aurait aimé pouvoir répliquer mais ses yeux embués ne regardait pas les persiennes en bois de la maison de Margot St-Laurent mais bien celle dont l’ombre semblait plus menaçante pour l’état d’esprit de son compagnon et renforçait d’autant plus sa théorie. Ce manoir, ayant appartenu à la famille de Skin depuis plus de cent ans ne devrait pas être là. À sa place, dans les années 50, on avait construit un bungalow d’une assez grande superficie qui n’a jamais vraiment remplacé le prestige du manoir. Cette maison, avec celle du notaire qu’ils venaient de quitter, faisait partie intégrante de l’histoire mais aussi de la personnalité de la ville de St-Bernadet. Aujourd’hui, en ce début de troisième millénaire, les ruines de la maison du notaire n’était même plus à la hauteur de ce prestige et ne subsistait que dans la mémoire des gens les plus âgés, ce dont nos trois compères se balancent complètement.

« Tu ne dis rien, Troud parce que ça te fait de quoi de savoir que ta théorie de savant s’est écrasée comme une asperge dans la poche de Magané. »

Il s’approcha de Magané qui regardait lui aussi l’ombre du manoir en retenant ses sanglots. Un bras autour de son cou, il serra le pauvre qui commençait encore une nouvelle crise d’asthme.

« Une chance que notre Magané a lui aussi les deux pieds sur terre. Il panique quand ça tremble un peu mais ‘faut pas lui en vouloir, c’est un grand sensible, hein Magané? »

Ce dernier esquissa un sourire qui ressemblait beaucoup plus à une grimace mais Skin ne voyait rien d’autre que le porche éclairé de la maison. Sur le balcon, un setter anglais semblait mener la garde. Il grogna en voyant Skin s’engager sur le terrain mais on eut pu croire qu’il préférait voir venir cet étranger avant de sonner l’alarme.

« Puffy, mon bon vieux Puffy! Tu t’es fait teindre la perruque, on dirait! »

Trou-de-Pique voulut intervenir avant que ne se déclenche une nouvelle crise mais il savait qu’elle était inévitable de toute façon. Il recula, en tirant la manche de Magané :

« Recule, on ne peut plus rien faire à présent. L’orage va éclater… »

Magané regarda le ciel étoilé en fronçant les sourcils mais quelque chose à l’intérieur de son cerveau lui signala de se taire, que cette phrase devait être une allusion mystique et que Trou-de-Pique savait de quoi il parlait, comme toujours.

Skin fut à quinze pas du chien lorsque celui-ci se dressa sur ses quatre pattes en reniflant l’odeur de l’inconnu. Magané l’appela deux, trois fois et la bête restait sur place, de plus en plus nerveuse.

L'armoire du passéWhere stories live. Discover now