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La propriété de mon père était effectivement imposante depuis la rue. Dernière maison d'un petit lotissement, elle se trouvait dans une impasse, située un peu sur les hauteurs. On ne voyait qu'elle. Grande de plus de deux cent mètre carrés, mon père l'avait faite construire six ans auparavant. C'était une maison d'architecte dans un style résolument moderne, composée de plusieurs éléments cubiques les uns imbriqués aux autres. Très lumineuse, de nombreuses portes vitrées, même à l'étage, qui avait été partiellement couvert d'un bardage en bois, permettaient d'admirer la vue de n'importe quelle pièce de la maison. Un immense portail gris sombre fermait l'accès à la petite allée goudronnée menant au garage, situé au rez-de-chaussée. J'ouvris le portillon près du portail et grimpai le chemin en pavé qui serpentait entre les parterres de fleurs, longeant l'allée.

L'intérieur était tout aussi moderne que l'extérieur. En plus du garage dans lequel avait été installé la buanderie, on trouvait au rez-de-chaussée : l'entrée, un immense salon avec la télévision, dans lequel nous passions le plus de temps, la salle à manger, la cuisine séparée et son cellier, un autre petit salon qui faisait office de bibliothèque, le bureau de notre père et une salle de bain avec toilettes. On accédait à l'étage par un très bel escalier fait d'acier, de bois et de verre situé dans l'entrée. Le seul étage comportait quatre chambres, dont trois équipées de salle de bain personnelles, ainsi que les deuxièmes toilettes de la maison.

Dans le jardin, il y avait une immense terrasse en bois qui offrait tout le confort : une grande table et des chaises, des transats, parasols ainsi un patio avec canapés et petit bar. Victoria et moi nous battions depuis des années pour avoir une piscine, en vain.

Victoria m'attendait avec le sourire et m'enlaça promptement quand je passais la porte. Je rangeai alors mes affaires, en déambulant dans la maison et elle resta pour me tenir compagnie en racontant les derniers potins de son lycée. Je n'y avais passé qu'un an, quittant l'établissement après ma seconde générale, mais il me semblait toujours y être tandis qu'elle me rapportait les derniers événements, les diverses intrigues et amours en cours.

Nous préparâmes à manger ensemble, tout en discutant de son weekend. Elle avait été chez des copines elle aussi, des filles de la région qui avaient également sauté une ou plusieurs classes. Elles lui permettaient de ne pas se sentir trop exclue et anormale, aussi, elle les voyait une fois par mois. Le lieu changeait, mais c'était toujours chez l'une des filles, dont les parents étaient présents. Ça rassurait tout le monde. Elle me raconta qu'elles avaient surtout joué avec une application de rencontre, critiqué les professeurs qu'elles détestaient le plus et regardé des vidéos de groupes de chanteurs coréens.

J'adorais qu'elle me raconte tout ce qu'elle faisait. Hormis Chloé, je n'avais jamais vraiment eu d'amies. Quelques filles avaient fait partie de ma vie pendant un temps, mais c'était surtout des amies de Chloé, pas les miennes. Elles ne m'invitaient jamais, ne me parlaient jamais si Chloé n'était pas là. J'avais fini par comprendre que je n'étais pas suffisamment intéressante pour elles. Ça avait alimenté l'image médiocre que j'avais de moi-même en plus de me pousser à me renfermer encore plus. J'avais le sentiment de vivre par procuration au travers de Victoria, tant j'adorai qu'elle me raconte toutes ses sorties grâce à cette popularité que je n'avais pas.

Au cours du repas, elle alimenta la conversation avec entrain et nous débarrassâmes la table en nous répartissant les tâches. Quand elle eut fini de remplir le lave-vaisselle cependant, elle se tourna vers moi et son humeur changea.

- Et toi, ton week-end s'est bien passé ? m'interrogea-t-elle soudain, d'un air suspicieux.

Je me figeai, l'éponge à la main, prise de court. Elle savait quelque chose, j'en étais persuadée. Je réfléchis à quel mensonge aurait pu être percé à jour mais ne trouvais rien de probant. J'étais déjà allée plusieurs fois chez Chloé, il n'y avait donc rien de louche... Mon humeur était-elle différente ? Mon odeur ? Je me reniflai discrètement et relevai les yeux vers Victoria qui me dévisageait bizarrement. J'étais en train de mettre trop de temps pour lui répondre, cela en devenait vraiment suspect.

Ne pleure pas mon angeWhere stories live. Discover now