02 | NOTRE PETIT SECRET

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Dire le secret d'autrui est un trahison.
Dire le sien est une sottise.
Voltaire

dimanche 22 janvier 1978

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dimanche 22 janvier 1978

"La ferme." déclara Vladimir en l'intention de Tristan, son camarade de chambre.

Notre protagoniste était maladroitement perché sur une chaise, une cigarette pendue aux lèvres, et essayait tant bien que mal d'entasser ses bouquins sur le sommet de la bibliothèque déjà bourrée à craquer. Son ami, de son côté, ne cessait de critiquer ses manœuvres, lui faisant remarquer que si ce n'était pas la bibliothèque qui s'effondrerait, ça serait la chaise en fer rouillé.

"Et puis, éteins cette cigarette. Tu vas nous faire choper. Et on étouffe, ici." renchérit-il en ouvrant la fenêtre. De l'air glacial s'engouffra dans la pièce exiguë. Vladimir se contenta de prendre une nouvelle inspiration de sa clope.

Il mit le dernier livre à sa place et bondit de son perchoir, rejoignant la terre ferme étonnement sain et sauf. Tristan lui dit quelque chose mais Vladimir ne l'écoutait pas. Il était trop occupé à repenser à Rosary, aux cigarettes qu'elle détestait supposément tant et qu'il ne pourrait plus jamais fumer sans repenser à elle. Le bout d'une obsession commençait à pointer son nez, il le sentait.

"Nous avons des devoirs ?" demanda-t-il tout en laissant tomber une pile de manuels sur le bureau pour dégager son lit.

Tristan lui tendit un bout de papier. Vladimir le déplia et soupira en voyant la file de devoirs qui l'attendait pour demain. Il allait encore une fois devoir se coucher à quatre heures du matin étant donné qu'il faisait toujours les choses à la dernière minute. Et dans un pensionnat aussi strict et réputé que St. Louis, c'était littéralement du suicide. Mais Vladimir n'avait jamais dit que ce n'était pas son but.

À la plus grande honte de son père, il poursuivait une Terminale littéraire, ce qui lui rappelait constamment l'extrait d'une lettre que la mère de Baudelaire avait écrite:

"Quelle stupéfaction pour nous, quand Charles s'est refusé à tout ce qu'on voulait faire pour lui, a voulu voler de ses propres ailes et être auteur ! Quel désenchantement dans notre vie d'intérieur, si heureuse jusque là. Quel chagrin !"

Baudelaire s'en était inspiré pour écrire un poème:

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,

Le Poëte apparaît en ce monde ennuyé,

Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes

Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié.

Bien évidemment, il y avait une suite, mais pour une certaine raison, Vladimir l'oubliait toujours. Il oubliait toujours les suites, en fait. Pour lui, dans la vie, il n'y a que les débuts qui importent. Voilà pourquoi il ne pouvait pas être considéré comme une bonne fréquentation à long terme.

ILS PRIENT POUR NOUSWhere stories live. Discover now