En revanche, chaque fois qu'il s'éveillait le matin, c'était pour trouver le lit vide. La jeune femme disparaissait avant l'aube et il ne la retrouvait que plus tard, dans cette ombre d'elle-même qu'elle était lorsqu'elle servait Lucilla. S'il avait le malheur de s'approcher d'elle pendant la journée ou d'essayer de lui voler un baiser au détour d'un couloir, Indira le remettait sèchement à sa place. Il s'en amusait presque. Elle lui faisait penser à cette jeune chatte qui rôdait autour de la maison, à Tiujillo. Indifférente et sauvage, elle gardait ses distances, jusqu'à ce qu'au prix d'une infinie patience elle se laisse approcher un peu. Elle se couchait alors sur le flanc, dans la poussière, et se mettait à ronronner sous les caresses. Puis, à l'instant précis où Maximus pensait l'avoir enfin apprivoisée, elle lui décochait un vilain coup de griffe et s'enfuyait.

Le général en avait pris son parti. Pour profiter des nuits savoureuses qu'il passait avec la belle esclave, il acceptait sans broncher toutes ses conditions.

-----

Peu à peu, ce qui avait été l'empire de Rome prit une nouvelle forme. On vit apparaître au Sénat des sénateurs nouvellement élus, et on redressa certaines des situations dans la capitale qui laissaient à désirer depuis longtemps. On lança des travaux pour assainir certains quartiers, et lorsque Lucilla révéla – au grand scandale des sénateurs ! - que son frère avait vendu une bonne partie des réserves de grain pour payer les jeux qu'il avait organisés, on durcit le prélèvement des récoltes dans les campagnes pour renflouer les greniers de la ville. Il fallut lever de nouvelles taxes, ce que la population n'apprécia guère, mais par ailleurs les commerçants, enfin libérés de la priorité et des prix bloqués que le palais impérial leur imposait depuis toujours, se frottèrent les mains : leurs affaires allaient pouvoir reprendre.

Maximus aussi avait bien réorganisé son armée. Il avait renvoyé les hommes de Commode pour remettre à leur place ses anciens lieutenants de confiance. Avec Quintus, malgré la bonne volonté que ce dernier avait montré, il n'y avait malheureusement pas grand-chose à faire, et l'ancien commandant de la garde prétorienne le savait fort bien : il donna lui-même sa démission pour se retirer sur ses terres. Les prétoriens furent réaffectés à différents corps d'armée de sorte que la garde fut totalement dissoute. Et Maximus, qui songeait toujours à sa propre retraite, prit avec lui Claudius pour le préparer à lui succéder, avec Dias comme second.

Parallèlement, il lui fallut gérer Lucilla. Il était heureux de la voir chaque jour, car c'était toujours pour lui l'occasion de revoir Indira, mais il n'oubliait pas le léger trouble qu'avait amené entre eux le baiser qu'ils avaient échangé le soir où le complot s'était enclenché. Lucilla, elle, n'avait rien oublié. Très occupée elle aussi par son propre départ du palais, elle restait malgré tout le plus souvent possible auprès de Maximus, amenant toujours son fils avec elle. Lucius était un enfant vif, intelligent et affectueux, qui savait apprivoiser n'importe qui, et il était peut-être le meilleur atout de sa mère, d'autant que Maximus était son héros et qu'il lui vouait une admiration sans borne. En retour, le général, lorsqu'il avait un moment, se faisait un plaisir de jouer avec l'enfant ou de lui raconter certaines de ses plus belles batailles, au front ou dans l'arène.

La confrontation n'allait pas tarder et Maximus en était conscient. Il ne fut donc pas surpris lorsque Lucilla, un après-midi qu'ils se tenaient sur une des terrasses donnant sur les jardins, vint s'asseoir à ses côtés.

_ On dit que tu es toujours décidé à rentrer chez toi, en Espagne ? demanda-t-elle.

_ Toujours.

_ Tu n'as pas envie de rester à Rome ? Tu pourrais être riche, pourtant, et devenir un homme important...

_ La richesse ne m'intéresse pas. Je veux simplement rentrer chez moi, là où je suis né, là où sont mes ancêtres et ma famille.

_ Que vas-tu y faire ?

Ombre et poussièreWhere stories live. Discover now