Parker (partie 4)

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Maddie m'apporte mon café du matin accompagné de pancakes spécial "Sasha" comme si nous n'avions pas parlé de choses graves quelques minutes plus tôt.

Elle se penche vers et moi et me chuchote à l'oreille :

— La belle jeune femme qui est apparue hier soir dans notre restaurant se trouve juste à la table en face de toi. Tu sais quoi ? Elle cherche du travail.

Je lui jette un regard d'avertissement. Elle lève les mains en signe de reddition :

— Je ne fais que te donner un coup de main dans la recherche de mains d'œuvre !

Elle rit et repart s'occuper des autres clients. Engager une parfaite inconnue ? Hors de question ! Curieux, je lève les yeux dans la direction que m'a indiquée Maddie. Une belle jeune femme blonde est en train de lire le journal, armée d'un stylo. Elle entoure sûrement les annonces d'offres d'emplois. Elle devra faire au moins cent kilomètres, aller-retour, pour trouver un job digne de ce nom dans ce coin paumé.

La façon dont elle se pince les lèvres, sa manière de remettre ses magnifiques cheveux en arrière, et ses mains délicates qui parcourt les lignes du journal, me donnent envie d'aller la rencontrer. Elle est spéciale. Je ne saurais pas comment définir ce que je ressens mais je comprends qu'elle ait tout de suite plu à Maddie. C'est une fille simple, d'une beauté naturelle, sans fioriture. Elle doit se sentir observée car soudain, elle relève les yeux vers moi. Ils sont d'un marron noisette adorable et illuminent son visage fatigué. Ses cernes montrent que son sommeil doit être agité. Ses lèvres pulpeuses se plissent et elle se lève précipitamment de la table en laissant le montant de la note.

Je voudrais l'arrêter mais j'ai peur de passer pour quelqu'un de bizarre si je me mets à lui poser plein de questions : d'où elle vient ? Que fait-elle à Chugwater ? Que fuit-elle ?

Au lieu de me soumettre à mon désir de percer à jour cette magnifique étrangère, je préfère me concentrer sur mon petit-déjeuner avant de rendre visite à Nana.

Après ce que m'a dit Maddie, je ne suis pas étonnée de voir la jeune femme me précéder en allant chez la vieille femme, de son vrai nom Annalise Lane. À seulement soixante-quatre ans cette grand-mère a autant d'énergie qu'une trentenaire. Elle enchaîne les activités, qu'il s'agisse d'un bowling entre amis, la participation à un club de lecture, les animations pour Halloween, rien ne semble l'épuiser. Son côté éclectique est la chose qui me plaît le plus dans sa façon d'agir. Elle est une grande fervente de tout ce qui touche à la divination et à la sorcellerie. Si l'on vivait encore au XIXème siècle, elle serait sûrement brûlée sur un bûcher.

La mystérieuse étrangère ouvre la porte en premier après avoir frappé. J'entends la voix enjouée de Nana remplir l'espace et, automatiquement, mon cœur s'allège. Cette femme est peut-être une sorte de sorcière après tout ? Pour ma part, je la qualifierais plutôt de "bonne fée".

Lorsque je pousse la porte de l'entrée pour me découvrir aux yeux de Nana, la jeune inconnue hurle de terreur et commence à prendre une lampe posée sur le meuble en guise d'arme. Nous nous figeons tous les trois quand soudain, je me mets à éclater de rire. On me l'avait jamais faite celle-ci !

— Sortez d'ici ou nous appelons la police !

Alors là, je suis plié. Je me tiens le ventre en même temps que le fou-rire fait trembler agréablement mon corps. Nana me rejoint bien vite et s'esclaffe devant l'air hébété de la jeune femme. Elle semble ne rien comprendre à ce qu'il se passe et doit sûrement nous prendre pour des dingues.

— Ma chérie, baisse cette lampe, c'est Parker ! Un très bon ami, je dirais même qu'il fait partie de la famille.

Ses mots me touchent et j'essuie les larmes de rire qui perlent au coin de mes yeux. La jeune femme repose timidement la lampe, toute gênée. La pauvre, elle a peut-être pensé que je la prenais pour une idiote sans cervelle, ce qui n'est pas du tout le cas. C'est plutôt le côté cocasse de la situation qui a eu raison de mon sérieux.

Je prends les devants et me dirige vers elle en lui tendant la main :

— Parker Davis. J'habite le ranch qui se trouve à l'extrémité ouest de la ville. Il est un peu en décrépitude mais les chevaux n'ont pas l'air de se plaindre... en tout cas pour le moment.

— Alless..Allie Corner, euh Cornwell, pardon. Oui c'est ça, je m'appelle Allie Cornwell.

— Et bien ! On dirait que je vous ai assez perturbée pour que vous en oubliez votre propre nom !

J'essaye de rire mais je vois que je la mets mal à l'aise. Elle reprend sa main sèchement et se met à tourner les talons pour rejoindre l'escalier.

— Vous ne venez pas d'ici n'est-ce pas ? Je veux dire, de Chugwater.

Je ne veux pas qu'elle pense que je suis un pauvre raciste des campagnes qui a remarqué son accent latin. Au contraire, je trouve sa voix adorable et suave. Son côté exotique ne m'a pas échappé, et même si ses cheveux sont blonds vénitiens, sa peau halée témoigne qu'elle a l'habitude des journées ensoleillées.

— En effet, je ne suis pas d'ici.

Bon, je pense que je n'obtiendrais pas plus de détails de sa part. Son air secret me donne autant envie de la connaître davantage que de m'éloigner de ses problèmes. Pourtant, alors que je pensais que j'allais lâcher l'affaire, je me mets à lui faire une offre :

— Maddie m'a dit que vous recherchiez un travail ?

Elle se retourne au milieu de l'escalier et me regarde de ses beaux yeux noisette. Ses lèvres à l'aspect si doux forment un "O" de surprise :

— Vous connaissez Maddie ?

— Oui. C'est...C'est ma...belle-sœur.

Je ne sais pas trop comment la qualifier mais je décide d'utiliser le terme juridique pour ne pas trop rentrer dans les détails. Elle est beaucoup plus pour moi, c'est ma sœur, ma meilleure amie, mon ange-gardien ! Mais je ne peux pas le lui dire en face sans que mes mots paraissent étranges et inappropriés à l'égard d'une gamine de dix-huit ans. 

— Alors, si vous n'avez encore rien trouvé d'intéressant, je peux éventuellement vous mettre à l'essai pour m'aider au ranch.

— Quel sera mon rôle ?

— Euh.

A vrai dire, je n'y avais même pas pensé jusqu'à présent. Je reste muet comme une carpe, lorsque Nana me sauve en parlant à ma place :

— Le ranch a besoin de rénovation et l'entretien des boxs des chevaux est un travail de longue haleine. il y aussi la comptabilité à gérer. Je pense que tu pourras être assez occupée avec ce travail ! Sans parler que Parker est un excellent patron.

Je ne sais pas pourquoi elle a dit toutes ces choses mais je me sens soudain rougir. Allie semble réfléchir quelques minutes à mon offre en se frottant l'avant-bras, comme si elle avait la chaire de poule.

— C'est d'accord.

Maddie avait raison, cette femme inspire la confiance et, aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai vraiment envie de l'aider. De toute manière, ce n'est pas de refus que j'accepte que l'on me sorte d'affaire avec ce ranch. Question comptabilité je suis un vrai boulet, et pour les rénovations, je n'ai pas d'idées, pas de projets, peut-être qu'un regard féminin saura m'aiguiller.

Délivre-Moi / Tome 1 : AlessiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant