Chapitre 7

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      Sandro atteignit le bas de l'escalier sans accorder d'importance aux murmures emplis d'admiration qui le suivaient. À peine s'écart-t-il au dernier moment de la trajectoire de deux jeunes femmes, qui s'étaient visiblement déportées pour l'aborder. La première lui adressa un sourire gêné en rougissant tandis que la seconde le fusillait d'une moue de dépit presque fâchée. Emporté par l'urgence de quitter le palais, il refusa de leur prêter la moindre attention. Et tant pis si ces personnes risquaient de lui causer du tort s'il les croisait de nouveau à l'avenir.

      À quoi songeait-il en le fixant ainsi du regard ? Qu'il allait le sauver ? Qu'il pourrait rembourser sa dette à sa place ? Qu'il exécuterait ce qu'on attendait de lui pour cela ? Autant de douces illusions qu'il devait chasser au plus vite. Et de toute manière, si le peintre apprenait la vérité cachée derrière ce qu'il allait entreprendre auprès de Filippo Mastreni, il se détournerait de lui.

      Misérable, il acheva de traverser la place comme un somnambule. Au moins, personne ne l'avait rattrapé. C'était une bonne chose. Mais au lieu de s'en féliciter, il en éprouva une amertume encore plus forte et il eut du mal à se ressaisir en songeant que de sa détermination dépendait sa survie.

      Sa minceur l'aidait à se faufiler entre les badauds. Respectant à nouveau le programme qu'il s'était fixé, il obliqua à droite afin de quitter l'artère principale. La ruelle plus étroite qu'il emprunta sinuait à l'arrière des boutiques. La nuit n'était pas encore tombée et la chaussée demeurait passante et active. Commis et livreurs le côtoyaient, ainsi que quelques clients soucieux de discrétion. Il les identifiait aisément à leur apparence un peu trop encapuchonnée, ou au regard méfiant qu'ils portaient alentour avant d'aborder la face cachée du commerce qui les intéressait.

      Autant de petits détails que Sandro avait appris à repérer et qu'il notait dans sa mémoire de manière instinctive, en accolant un nom quand il reconnaissait une personne ou la couleur de la livrée d'un domestique envoyé pour une transaction. Une façon de s'assurer une porte de sortie en fonction des évènements, quant à un avenir incertain.

      Mais pour l'heure, il songeait essentiellement à rendre ses habits d'emprunt au prêteur. L'argent fourni par Filippo Mastreni ne couvrait pas plus que quelques heures d'utilisation. Manipulateur et pingre. Le concurrent de son maître n'en finissait pas de descendre dans son estime et c'était un crève-cœur pour lui que de s'acheminer dans son giron.

      Il ne ressentait toutefois nulle envie de continuer à porter des atours aussi seyants. Pas dans les conditions actuelles. Ils attiraient nettement trop l'attention sur lui. Le brun passé et la pauvreté de ses vêtements ordinaires le protégeaient davantage contre les regards curieux ou intéressés, même si sa beauté en poussait toujours certains à l'aborder.

      Il dégrafait déjà le haut de son pourpoint quand il entra dans la boutique. Occupé avec un autre client, le gérant l'accueillit d'un ton rude, qui finit de détruire l'illusion de son appartenance à une classe moins misérable.

      — Ah, c'est toi. Passe derrière le rideau. Tes frusques t'attendent.

      Sitôt dit, sitôt fait.

      — Et j'espère que tu n'as rien abîmé, renchérit l'homme.

      Réapparaissant de l'endroit exigu où il s'était changé, il lui tendit les pièces de son déguisement qu'il avait succinctement repliées.

      — Tu es en état. Vous pouvez vérifier.

      Le marchand lui arracha le tas des mains en le gratifiant d'un regard hostile. Peut-être avait-il mis trop d'impertinence dans sa réplique. Mais le commerçant lui déplaisait. Il avait reçu une somme substantielle. De quoi couvrir largement un accroc s'il en eût existé un. Sandro le savait. Il s'était chargé lui-même de lui remettre la bourse remplie par Filippo. Le peintre avait apparemment appris à demeurer prudent dans ses manœuvres douteuses. Il ne voulait pas se mouiller directement.

      — C'est bon, grommela son interlocuteur. Fiche le camp !

      Haussant les épaules à tant de dédain, il retourna dans la rue sous son ramage de pauvre moineau. Il était encore tôt et la douce saison rallongeait les jours. Il devait attendre que la nuit tombât avant de mener à bien le reste de ses investigations. Il ne se sentait pas le goût de retrouver la solitude de sa soupente, même si celle-ci délimitait un territoire où il pouvait s'abandonner en toute sécurité. Elle lui rappelait trop que les moments qu'il partageait avec Salvatore Gecatti s'achèveraient bientôt.

      Ses pas le guidèrent au bord de l'Arno. Le souffle du vent porteur de l'odeur saumâtre de la mer lui manquait. Tout comme le bruit du ressac et ses mouvements de balancier salués par les cris des oiseaux. Son cours lui paraissait couler trop sagement, resserré entre ses berges, mais aimait entendre le clapotement de l'eau et suivre le miroir changeant né de sa course.

      Le fleuve défilait comme un long ruban tranquille chargée de barques et de petits bateaux. Offrant son visage aux derniers rayons du soleil, il s'installa sur la rive en prenant soin de se tenir éloigner de l'activité humaine. Patiemment, il attendit. Les étoiles s'allumaient peu à peu. Les lavandières et les enfants qui se baignaient s'en étaient allés. Seule une barge plate débarquait encore des marchandises. Se relevant de la terre humide, il reprit le chemin du cœur de la ville.

      Le temps d'atteindre sa destination, la nuit était tombée. Contrairement aux rives de l'Arno, le quartier respirait l'opulence et un réflexe de prudence lui dicta d'éviter les lanternes qui éclairaient l'artère principale. La pauvreté de ses vêtements l'assimilait au mieux à un vagabond, au pire à un voleur. Les gardes en faction devant les plus riches demeures n'auraient pas hésité à le chasser.

      Empruntant les rues adjacentes, il parvint enfin sous les murs du palais qui l'intéressait. Calé dans un angle obscur, il observa un moment la ronde des lumières qui se croisaient dans les couloirs du premier étage tout en évaluant la distance qui l'en séparait. Il ne savait pas encore si ces informations lui serviraient, mais il devait les engranger. Espionner lui permettait au moins d'évacuer sa tristesse.

      Une heure plus tard, il suivait le chemin inverse pour regagne la maison de Salvatore. Il ne s'illusionnait pas sur la solitude qui l'attendait. La fête devait battre son plein au Palais Vecchio. Son maître s'amusait avec son ami Silvio. Il n'avait aucune raison de rentrer tôt. Sans doute était-ce mieux ainsi.


L'Ange de NyckosWhere stories live. Discover now