— Pas dans ces circonstances, non !

— Qu'est-ce que j'ai fait ?


Rien ! Il ne fait jamais rien ! Il est simplement parfait ! Du moins c'est ce qu'il pense. Mais c'est faux ! Mais pourquoi je m'emporte de la sorte ? C'est vrai, il n'a rien demandé, au contraire, il a été gentil de vouloir m'expliquer et de me montrer la marche à suivre pour réussir ces sablés. Il faut que je me calme !


— Ah ! Je suis désolé ! J'avais complètement oublié que ta mère était décédée...

— Non ! je le coupe.


Je sais ce qu'il tente de faire. Oui, ma maman a perdu la vie ici même, dans cette cuisine. Mais ce n'est pas ça qui me dérange. Du moins, je ne le pense pas ! J'ai fait mon deuil.

Pendant des années, je n'ai pas mis les pieds dans cette pièce, pourtant refaite à neuf, suite au décès de ma génitrice, mais c'était bien trop dur pour moi. Mais depuis cinq ans maintenant, cet endroit est plus un sanctuaire à ma mère que le lieu où elle a décédé. Je m'y sens bien, j'ai la sensation qu'elle est auprès de moi.


— Elle n'est pas morte dans cette cuisine ?

— Si ! Mais ce n'est pas le problème !

— Tu es sûre ? Car tu n'arrêtes pas de fixer le sol, près du piano de cuisson.


Je fais ça ? Je ne me suis même pas rendue compte ! Je dois être plus stressée qu'il n'en paraît. Il faut me ressaisir !


— Je suis désolée !

— Non ! C'est moi. Je comprends pourquoi tu n'es pas très habile en cuisine. Je crois que moi non plus, je n'aimerais pas ce lieu, si j'y avais vu...

— Stop ! S'il te plaît, on est là pour une seule et unique chose, pâtisser !


Je mets fin à cette conversation qui me dérange. Nous ne sommes pas ici pour parler de ma maman qui me manque plus que tout. Je dois faire abstraction de mes sentiments et réaliser ce dont on est venu faire.

J'allume à nouveau la balance et attends les consignes.


— Tu es quelqu'un d'incroyable ! Tu le sais ?

— Oui ! Et tu n'as encore rien vu !


Si, mais tu ne le sais pas ! Je me murmure dans ma tête. Incroyable, est le mot qui me qualifie le mieux, en tout cas, je le préfère à bête et à monstre.


— Alors reprenons ? On appuie sur ce bouton pour choisir l'unité de mesure désirée, là, en l'occurrence, les kilogrammes, me montre t-il la touche adéquate en s'approchant tout contre moi.


Je sens son souffle chaud près de mon cou, et mon corps s'électrise d'un seul coup. Tous mes sens sont aux aguets, mon cœur quant à lui s'enflamme, s'embrase même. Je suis brûlante, j'ai l'impression d'être en ébullition. Je ne peux contenir la fournaise qui est en moi.

Nos regards se croisent, et là, c'est l'hécatombe, j'aurais voulu qu'il m'embrasse, qu'il me touche, qu'il me déshabille, qu'il m'aime quoi, mais il n'en fait rien, il se contente de sourire, et poursuit dans ses explications interminables sur le fonctionnement de cette foutue machine.

ABEL ET LA BÊTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant