1. ELIJAH

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     La chaleur autour de mon corps me donnait envie de rester là-haut, sur ce nuage, toute ma vie. Le coton qui m'entourait, formait une sorte de cocon où j'étais enfin serein, où tous mes problèmes avaient disparus comme par magie. Me voilà libéré de mes chaînes. Soudain, le nuage se perça et je vis à toute vitesse l'océan se rapprocher. Une gerbe d'eau glacée m'aspergea avant que je n'atteigne les flots tumultueux, et je bus la tasse. Je me redressai d'un seul coup dans mon lit devant lequel se tenait mon père, un seau maintenant vide à la main. Je pataugeai dans mes draps nouvellement rejoint.

- Debout junior, y a quelqu'un qui veut te retrouver.

- Ça peut pas attendre ? gémis-je la tête enfoncée dans mon oreiller malgré qu'il soit complétement trempé. Ça fait deux ans que je n'ai pas eu le droit à une grasse mat'. Laisse moi en profiter merde.

- P'tit con ingrat.

     Le bruit des boots de mon père sur le vieux parquet de ma chambre me rassura, j'allais passer la journée au lit ! Le claquement de la porte d'entrée retentit du rez-de-chaussée au premier étage.

     À travers l'une des fenêtres de ma chambre, celle qui se trouvait juste au-dessus de ma tête de lit, j'entendis l'homme qui m'avait élevé trafiquer quelque chose. Je grognai. Il était toujours comme ça Boss, à se lever plus tôt que les poules.

- Tant pis pour toi, Skull viendra la chercher ! hurla mon père depuis notre jardin qui donnait sur la route du petit lotissement que nous habitions.

     La chercher ? Chercher qui ? Oh et puis qu'est-ce que j'en ai à foutre !

     Je levai la main, bien haut pour que mon père puisse la voir, le pouce en l'air en signe d'assentiment paresseux. Alors que mes yeux se refermaient avec plaisir ; un long râle se fit entendre suivit d'un rugissement sonore et si puissant que les murs en tremblèrent. Le cri d'une machine de guerre qui avalait le bitume à mes côtés depuis que j'avais quatorze ans officieusement et seize ans officiellement. Je pouvais la reconnaître entre mille. Je me levai à la vitesse de la lumière, imaginant mon père s'éloigner dans l'allée. Nu comme un nouveau-né, j'attrapai le premier vêtement qui me tomba sous la main, mon sous-vêtement de veille, l'enfilai tout en descendant les escaliers, sautai par-dessus la table de la cuisine et le canapé pour rejoindre comme une tornade le porche et mon jardin où mon père était tranquillement assis sur mon engin, me filmant dans ma précipitation.

     Je ne fis pas attention au géant aux longs cheveux bruns et les bras remplis d'encre qui se moquait ouvertement de moi, riant à gorge déployée, alertant tout les voisins de ma décadence. Non. Ce qui attira mon regard et me procura des frissons de plaisir anticipé, c'était la bête entre ses jambes. Ma bécane. Toujours aussi bien chromée, elle représentait la virilité absolue. Elle avait était réparée après la course-poursuite qui m'avait valu mon voyage en prison. Un changement m'interpella. Sur le carénage avant se trouvait une faux peinte en orange. Au-dessus du manche, dans une calligraphie gothique y était inscrit le surnom que mon oncle me donnait depuis que j'étais petit : "Chaos".

- C'est oncle Skull qui a fait ça ?

- Qui d'autre à ton avis ? Il pensait que ça te ferait plaisir de la retrouver toute neuve avec un petit plus.

     Je hochai la tête. Elle était encore plus belle que dans mon souvenir. Vraiment divine. Mon père coupa le moteur et descendit. Il me lança les clés et me frotta les cheveux déjà en bataille par le sommeil.

-Ton retour nous fait plaisir fils. Tu as changé, mais tu restes mon gars et un membre.

     Je lui mis une claque dans le dos, les effusions, c'était très peu pour nous. Mon père et moi avions toujours eu ce genre de relation. Pour lui, j'étais son fils, son frère, son meilleur ami et son subordonné. Il m'avait élevé seul tout en gérant les affaires. Il était loin de l'image du père parfait : gérant d'un MC, ses allers-retours en prison, les trafics auxquels je participai depuis mon enfance. Mais il restait tout de même un homme aimant sa progéniture plus que tout et qui pourrait mourir pour elle. Comme moi, je n'hésiterai pas à me sacrifier pour lui. J'avais pas une vie banale en tant que délinquant et fils de criminel. On était surveillé, traqué, que se soit par la police ou les gangs adverses, mais j'étais heureux et satisfait de mon existence.

     D'eau pure et d'adrénaline !

     Après un petit déjeuné rapide et une longue douche, je sortis sur le porche de la maison, fumant ma première cigarette depuis deux longues années. Soupirant de bien-être, je m'appuyai contre l'une des colonnes en pierre et fixai ma moto, me tâtant pour aller faire un tour. La décision fut vite prise lorsque mon meilleur ami passa le portail. Me remarquant, il s'arrêta en plein milieu du chemin de dalle et fronça les sourcils. Un énorme sourire apparu sur son visage.

- Hé ben mon gros, j'ai bien failli ne pas te reconnaître ! C'est quoi leur régime alimentaire ? T'es devenu une bête !

- L'ennui, répondis-je en écrasant mon mégot dans le cendrier.

     Il prit un air désolé et pour détendre l'atmosphère, je le rejoignis et lui donnai une accolade.

- J'aurais dû être avec toi, soupira Dylan.

- Non. C'était très bien comme ça.

     Il voulut contre argumenter, mais je lui lançai un regard qui le fit taire. Je repris ma place et il s'installa à mes côtés comme au bon vieux temps, me donnant tous les détails des deux dernières années.

- En tout cas, tu n'es plus le même. Regarde-moi ça ! s'exclama-t-il en désignant mes bras et le reste de mon corps. Tu étais parti avec deux ou trois dessins et maintenant te voilà remplis de la tête... Aux pieds ?

     Je souris, confirmant.

- Putain ! Même ton vieux, il n'en a pas autant !

- L'élève a dépassé le maître, énoncai-je.

- Pas pour tout ! cria mon père depuis le salon.

     Je levai les yeux au ciel. Un bruit de moteur se fit alors entendre dans la rue et un vieux pick-up vert délavé se gara devant la maison d'à côté. Une fille aux longs cheveux noirs décolorés aux pointes descendit et claqua la porte montrant sa colère à l'encontre d'une personne dans le véhicule. Sa tenue légère dévoilait un corps métisse digne d'un mannequin. Elle se tourna vers nous. Lorsque ses yeux se posèrent sûr Dylan, un sourire mutin se plaqua sur ses lèvres peinte en rouge. Elle s'approcha comme une panthère, son corps se mouvant avec prédation.

- Lily Reynolds, chuchota Dylan hypnotisé, une bombasse qui a emménagée avec sa famille quelques mois après ton départ.

     Arrivée à notre hauteur, elle s'appuya contre le grillage.

- Salut Dylan, tu nous présentes ?

     Elle planta son regard dans le mien. Je souris ironiquement.

     Si tu crois que je vois pas dans ton jeu ma belle.

-Bien sûr princesse, avec plaisir. Lily, voici l'incontournable Elijah Griffin.

     Elle sembla surprise.

-Griffin ? Tu es le fils de Max Griffin ?

-Le seul et l'unique, affirma Dylan.

- Je ne savais pas qu'il avait un fils. Ravie de faire ta connaissance.

     Je ne pris pas la peine de répondre. Pas que ça à faire. À moins que... Je pouvais peut-être l'utiliser comme un coup d'un soir. Après tout, elle était vachement mignonne et ça faisait deux ans.

- Lily Reynolds ! Dans la maison ! Je te signale que tu es punie.

     La voix provenait de derrière la bimbo dont le visage devint rouge de fureur et de honte. Une voix si douce qu'elle m'en donna des frissons. Une voix digne des rêves érotiques les plus chauds. Ceux qui, lorsque tu te réveillais, te laissaient complètement perdus. Une voix qui me donnait envie de bomber le torse et de me balancer de branches en branches, en hurlant comme Tarzan.

     Reynolds nous lança un baiser, cachant sa honte sous une forme de je m'en-foutisme, et parti en direction de la maison, dévoilant ainsi une jeune fille blonde. Les bras chargés de paquets de course, elle nous fusilla du regard.

Et quel regard !

Toute à moiWhere stories live. Discover now