— Et ton "bel engin flambant neuf" ?

Sourire malicieux de la part du blond.

— T'ai-je déjà dit à quel point Cthul est un merveilleux patron ?

Quoi, Cthul leur fournit une voiture ? Yeux écarquillés, Oriane ne peut dissimuler sa surprise mêlée d'enthousiasme : réaction à laquelle lui répond Ikare, tout aussi euphorique, par un clin d'oeil facétieux. Il la tire par la main, lui fait quitter l'appartement en hâte, traverser en courant les couloirs, dévaler les escaliers jusqu'à arriver au garage souterrain où là attend, étincelante, une Ferrari.

Un rêve éveillé pour une passionnée de mécanique comme Oriane : plus excitée qu'un enfant découvrant son cadeau de Noël, la jeune femme entreprend d'examiner chaque parcelle de la machine, émerveillée par la beauté d'une machine de cette renommée.

Pareille euphorie ne manque pas d'amuser Ikare qui, nettement moins connaisseur, lance :

" Eh bien, ç'a l'air de te brancher les bagnoles ! Mais si tu l'essayais directement au lieu de baver devant ?

— Je... je peux ?

Cette timidité soudaine de la part de cette même femme qui, le soir dernier encore, l'embrassait avec l'avidité d'une lionne, est surprenante et charmante à la fois. Si charmante qu'Ikare adorerait la serrer contre lui, ici-même, sans se soucier de rien, et répéter le même schéma que la nuit passée.

Inutile de revenir sur la psychologie de ce garçon en matière de désirs.

— Bien sûr ! Elle appartient aussi à toi, non ?"

Sans se faire davantage prier, sa compagne se glisse sur le siège du conducteur, caresse du bout des doigts, avec un certain respect, le volant neuf puis, une fois son passager installé, met en route l'animal.

"Et c'est parti !" crie avec triomphe Ikare alors que la porte du garage vient de terminer son ouverture.

Sitôt le départ lancé, le véhicule démarre dans un rugissement de fauve puissant à en réveiller tout Laffiera.

Les voisins ne se plaindront bien sûr pas du bruit : tous les locataires de cet immeuble ont pactisé avec Cthul, aussi savent-ils le danger encouru de défier l'un de ses protégés — qui plus est quand il s'agit de son plus terrible mercenaire.

Autour d'eux les rues défilent, les vieux néons illuminant certaines tavernes de l'avenue principale des Gritants se mêlent sous la vitesse : ainsi file la voiture, audacieuse et magnifique.

Au milieu de ce décor si sale et misérable, les deux amants étincellent et s'amènent comme des seigneurs. Il faut les entendre, ces moteurs plus redoutables que le tonnerre ! Ces phares qui éblouissent la foule et les effrayent comme s'il s'agissait d'un éclair divin ! Ses passagers sont comme des princes inconscients du danger, de l'adrénaline dans leurs veines en guise de sang royal.

Oriane, pleine d'assurance, ondule entre les autres véhicules, enchaine les virages sans même songer à ralentir, s'élance pleins moteurs sur les boulevards déchus des bas-fonds.

"T'as appris où à conduire comme ça, sérieux ?! s'émerveille son amant.

Camion à droite. Dans un assourdissant crissement de pneus, la pilote vire à gauche et réplique :

— Tu croyais vraiment que j'avais appris à réparer les bagnoles sans savoir un minimum les conduire ?

Les habitations se font de plus en plus propres, les rues aérées, les boutiques ouvertes. Encore quelques minutes, et ce sont des maisons anciennes qui maintenant constituent le paysage. Ils passent devant une ruelle où la minuscule église du quartier indique neuf heures : autrement dit, la fête ne fait que débuter.

Les voilà à Vieufaune.

Nouveau crissement de pneus, nouveau virage un peu plus périlleux que la fois précédente, deux ronds-points pris à toute vitesse. Bientôt ils atteignent le pont : une ligne droite, parfaite pour se défouler vraiment à fond.

C'est alors que les festivités se voient ternies par l'arrivée d'invités un peu plus sérieux. Par-dessus le vrombissement du moteur on entend les sirènes d'une voiture de police.

"Oriane ! Les flics !

Elle sourit :

— Oh parfait. Je commençais justement à m'ennuyer.

Réplique qui ne manque pas de faire pouffer de rire Ikare, faisant remarquer :

— T'es conne Oriane ! On dirait la réplique d'un méchant de dessin-animé, sérieux.

— Justement, rétorque-t-elle. Je suis une méchante de dessin-animé.

L'idée a l'air d'emballer l'autre :

— Oh oui ! Moi je serais le Joker, et toi Harley Quinn !

Silence gêné.

— Putain... Ne me dis pas que tu connais pas Harley Quinn.

— Désolée."

Ils n'ont le temps d'approfondir cette discussion sur les références culturelles de chacun car pendant ce temps, leurs poursuivants en ont profité pour se rapprocher dangereusement.

Bien décidée à ne pas les laisser les rattraper, Oriane s'engage dans un quartier pavillonnaire aux rues assez larges pour les manoeuvres. On peut distinguer çà-et-là quelques pièces encore allumées, mais pour la plupart des habitations, tout semble endormi. Bien différent de la course-poursuite qui se déroule sous leurs fenêtres, en somme.

Le sang bat dans les tempes de la pilote ravie d'une telle adrénaline. Qui aurait pu croire, il y a encore quelques mois, qu'elle allait finir délinquante, au volant d'une Ferrari et occupée à semer des forces de l'ordre ? Quelle excitation ! Digne d'un film ! L'intensité de la situation lui donne presque envie de rire.

C'est alors que le film s'arrête. Ce n'était qu'une toute petite silhouette, une minuscule ombre indistincte à la lumière des lampadaires, ces derniers trop loin pour l'éclairer suffisamment. Une apparition trop maigre pour être vue...

La voiture est prise d'un sursaut amplifié par la vitesse, déraille, réussit à se rattraper quelques mètres plus loin. Mais Oriane ne bouge plus. Paralysée un bref instant, sous le choc.

Ikare la regarde, inquiet, tout aussi tétanisé.

"C'était quoi ça ?"

L'un et l'autre savent très bien la réponse : c'était un enfant.

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now