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         Sunare jeta un dernier coup d'œil aux cinq prisonniers dont les mains étaient attachées par des cordes.Le général le savait, ces hommes feraient désormais parti de son domaine et répondraient à ses ordres. Il ne savait pas s'il avait bien agi, autant d'un point de vu sécurité de son domaine que pour leur propre bien. Mais il devait faire avec et ne pas montrer de signe de faiblesse.En s'éloignant de ses sujets, il songea à son domaine, à ses terres splendides qu'il n'avait pas vu depuis plus d'une demi année, à sa femme Mizuo, une personne incroyablement douce et généreuse qu'il aimait profondément, à ses deux filles, respectivement de dix-sept et seize ans et enfin à son petit guerrier de treize printemps. Sunare n'aspirait plus qu'à lui apprendre l'art du combat et il savait que cette époque se rapprochait considérablement. Il chassa ses pensées. Trop désirait ne devait pas faire partie de sa vieIl s'apprêtait à rejoindre sa tente quand un cavalier et son cheval débarquèrent sur sa route au galop. L'homme fit stopper son cheval en sueur devant le général et après avoir repris sa respiration, il mit pied à terre et apostropha Sunare.-Je vous apporte un message de la capitale à destination de l'empereur, annonça le messager en tendant une lettre.Le cachet rouge sur la lettre mit la puce à l'oreille du général. Il savait que cette lettre était urgente et devait rester secrète. Il remercia le messager et l'invita à se reposer puis il demanda au premier soldat venu d'amener le pauvre cheval à l'écurie pour qu'on lui dispense un bon pansage et qu'on le nourrisse convenablement. La lettre, il la cacha sous son épaulière, dans un recoin prévu à cet effet.Sunare s'approcha de la plus grande tente du camp de son pas nerveux quand il fut stoppé par une étrange personne, habillée richement, ce qui contrasté avec la saleté des armures des soldats. Sa longue chevelure noire était soyeuse et brillante, ses yeux en amande plein de malice et sa démarche noble. Sa robe de velours était brodée d'or et représentait une scène de guerre, faisant écho à la situation, et épousait ses formes à la perfection. Sa démarche était gracieuse et légère, chose qui agaçait profondément Sunare. L'homme ou la femme, personne à Daine ne connaissait ce secret, était le conseiller –communément, on utilisait le masculin pour parler de lui d'après ce que l'empereur lui-même disait- de l'empereur Batosai ainsi que son confident, et probablement la personne la plus proche de lui.-Maître Sunare.-Kibitaki.-Allons, appelez-moi par mon prénom, Suisen, comme je vous appelle par le vôtre Sunare. -Laissez-moi passer Kibitaki, je dois parler à l'empereur de l'état de nos troupes, mentit le général.-Quelle bonté de cœur, Sunare ! Epargner cinq pauvres bandits !Le général envoya un regard sombre à son interlocuteur.-Qu'auriez-vous préféré, que je sois sans pitié ? Que je les massacre comme du bétail ? Ce sont des hommes, ils ont aussi le droit de vivre.-Ce sont des hors-la-loi qui s'apprêtaient à nous attaquer. Nos soldats meurent déjà de faim et vous, vous ramenez ces pourritures, ces étrangers ? Vous leur promettez un toit, de la nourriture, une protection dans votre domaine alors que des hommes et des femmes meurent de faim à la capitale et partout dans le pays. Dans quel camp êtes-vous ?-Peu importe lequel, lorsqu'un homme me supplie de l'épargner, je l'écoute. Un sage homme a dit un jour qu'un grand guerrier, en dépit de sa propre renommée, devait utiliser les armes qu'en cas de dernière nécessité. Il doit savoir aimer et pardonner, et doit considérer que la vie est le bien le plus précieux qui soit. Meiya no Michi, la voie de l'honneur. Mais il semble que seul le pouvoir vous attire et que vous soyez prêt à toutes les bassesses pour l'atteindre.Suisen se mordit la lèvre et plissa les yeux.-Maintenant, reprit Sunare, laissez-moi voir l'empereur, la guerre est un sujet que vous maîtrisez bien mal.-Mais vous savez bien que Batosai ne désire plus entendre parler de cette guerre maintenant qu'elle est terminée. Soyez respectueux envers votre empereur, maître Sunare, et laissez-le se divertir, se changer les idées et oublier tous les malheurs qui lui sont tombés dessus. Vous n'avez plus de rôle à jouer auprès de lui. Je sais que cela est difficile pour vous de l'accepter, mais vous devez le faire. Retournez à votre tente et n'importunez pas notre seigneur.Sunare ne se laissa pas intimider par Suisen, il planta son terrible regard dans les yeux malicieux du confident et tenta de le persuader ainsi. L'échange de regard dura avant que Suisen ne craque et ne feinte de s'intéresser à un groupe de soldats au loin.-Je ne peux vraiment pas vous laisser entrer, insista-t-il malgré sa défaite, laissez-lui le temps de se remettre de cette terrible perte et entre nous...Suisen approcha ses lèvres de velours vers l'oreille du général.-Vous ne voudriez pas que je vous donne une mauvaise image auprès de lui.Ce fut sans un mot que Sunare tourna les talons dans la bouillasse et s'éloigna du conseiller. Satisfait, Suisen regarda le général un moment avant de retourner dans la tente impériale, un large sourire figé sur ses lèvres.


L'intérieur était richement décoré, chaleureux et lumineux. L'empereur assit sur un confortable siège, écrivait une lettre. D'un cinquantaine d'années, l'homme était élégamment habillé, rasé de près et les cheveux courts noirs de jais. Il se tenait courbé sur sa chaise, présentant une déformation à son épaule droite qu'il avait reçu lors de sa première bataille, trente de cela. Cette blessure avait rendu sa main plus difficile à contrôler, mais son statut d'empereur l'avait contraint à utiliser malgré tout, sa main droite, déclarant que la gauche lui porterait malheur. Il peinait à écrire cette lettre, gribouillant dessus et grinçant des dents. A l'arrivée de Suisen, il se stoppa et regarda son confident.-Comment se porte mon seigneur ? s'annonça l'arrivant.-Pensez-vous que je suis puisse me porter bien, Suisen.Le confident s'approcha de Batosai et se pencha vers lui, laissant son souffle se balader sur la nuque de l'homme.-La guerre est finie, vous l'avez remporté avec brio ! Vous avez amassé grâce à cette guerre, une richesse et un pouvoir incroyablement grands ! Et bientôt, vous régnerai en maître sur vos ennemis ! Votre pays vous admire, mon seigneur, pour votre bravoure, votre intelligence et votre bienveillance !-Il admire surtout mon général, Sunare. C'est lui qui nous a mené à la victoire.Batosai repoussa son confident lorsque Suisen se colla encore un peu plus à lui. L'empereur fit comme si rien ne s'était passé et reprit l'écriture de sa lettre. Il peignit deux ligne avant que sa main ne se remette à trembler si fortement qu'il dut se stopper. -Avez-vous besoin d'aide mon seigneur ? s'enquit l'arrivant. Je vais m'occuper de votre lettre, dictez-là moi.Il prit le pinceau de la main tremblante de Batosai et attendit en souriant chaleureusement. L'empereur, d'abord surprit par ce geste inattendu, se recula dans son siège puis soupira avant de commencer.-« Je ne sais que faire... »-Mon seigneur, reprenez depuis le début. Sans vous offenser, votre écriture est illisible.-Bien, grogna-t-il avant de reprendre. « Mon cher Kaoru, je pleure votre mère tous les jours depuis sa disparition. Mon cœur ne sait se consoler de cette immense perte. C'était une femme douce et généreuse qui a su combler mon cœur. J'ai été tant heureux à ses côtés que cette perte me déchire le corps et l'âme. Je ne sais que faire sans elle... »-Attendez, mon seigneur, vous allez trop vite.Batosai marqua un temps de pause avant de demander :-Je vous ai entendu parler avec quelqu'un, Suisen, qui était-ce ?-Ne vous importunez pas de cela, je l'ai chassé.-Je vous en remercie, mais qui était-ce ? demanda l'empereur plus fermement.-Le général Sunare.Batosai se retourna vers son confident, le regard interrogateur. Comme un signe de nervosité, il se massa la main.-Que voulait-il ?-Vous tourmentez, mon seigneur.-Me tourmenter ? Pourquoi voudrait-il cela ?-Oh, votre altesse, vous êtes si pur et si bienveillant ! Ne vous rendez-vous pas compte de la perfidie qui se cache en Toshira no Sunare, votre grand général ? Vous êtes de plus en plus faible, mon seigneur, et lui, de plus en plus puissant ! Cette guerre, vous le dites vous-même, c'est lui qui l'a mené à bien. Son génie, oui. La mort et la désolation, voilà ce qui le rend fort et puissant ! Vous le croyez bon, mais il est sombre, il cherche le pouvoir. Mon seigneur, il vous a envoyé à la guerre pour vous affaiblir ! Vous avez perdu votre tendre Jinsei à cause de lui. Et bientôt, ce sera votre tour. Méfiez-vous de lui, ne le laissez pas vous approcher ou il prendra votre place.-Vraiment ?Le regard de l'empereur s'attrista.-Ma Jinsei, ma douce Jinsei... elle me manque terriblement mais je peux vous croire. Je ne peux croire que Sunare soit capable d'une telle chose.-Vous ne me faites pas confiance, mon seigneur ?-Ne soyez-pas idiot, Suisen, vous êtes la personne en qui j'ai le plus confiance. Mais tout le monde peut se tromper. Sunare a déjà fait ses preuves. Il est à la fois l'un des meilleurs guerriers de Daine, mais aussi un excellent stratège, un homme respectueux envers ses soldats et quelqu'un sur qui j'ai pu compter maintes et maintes fois. Vous n'étiez probablement pas né que je combattais déjà à ses côtés !A chaque mot, la voix de Batosai se faisait plus forte. Et dans le même mouvement, l'empereur se grandit sur son siège jusqu'à se trouver debout. Surplombant Suisen d'une demi tête, l'empereur impressionna l'homme.-Mais je peux concevoir les hommes changent avec le temps. Je tacherai d'être prudent et j'espère pouvoir compter sur vous pour me parler des projets de Sunare.Suisen se courba devant son empereur, laissant sa chevelure tomber en avant, si longue qu'elle en toucha le sol. Il ne le laissa pas paraître, mais son cœur tambourinait si fort qu'il aurait cru que sa cage thoracique transpercerait sa poitrine. Caché derrière sa longue chevelure noire, il laissa échapper une larme et un long soupire avant de se relever.-Je ne vis que pour me servir, mon seigneur.Batosai se montra alors plus calme. Il se rassit dans son siège puis sourit à son confident.-Je vous remercie, Suisen. La tristesse s'est envolée grâce à vous. Elle a fait place à de la colère, mais ce sentiment est plus agréable que cette horrible corde qui me noue la gorge. Reprenons la lettre, si vous le voulez-bien.Suisen attrapa le pinceau et se remit à écrire.

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