- Tu vas vraiment porter cette chemise, Matt ?

Lauren vient d'entrer dans la pièce. Elle porte un chemisier, elle aussi, mais de couleur noir. Et elle me jette un coup d'œil en coin. Je ne sais pas si ça a quelque chose à voir avec la remarque que je lui ai faite hier matin, à propos de son chemisier, mais ça lui va à merveille.

- Oui ! s'écrie Matt. Je pense même la porter pour mon prochain mix au Big Friday...

- Tu veux créer une crise d'épilepsie collective ? ça pourrait faire une performance intéressante...

Lauren s'installe à côté de moi. Tout contre moi, même. Malgré la présence des autres, mon cœur s'emballe lorsqu'elle passe une main dans mon dos. Sa voix cassée, sa jambe contre la mienne, son odeur de savon, ses cheveux un peu mouillés me font frémir.

- J'en connais une qui va faire une crise d'épilepsie, à trop regarder les yeux marron de sa chérie..., raille Matt.

Les deux autres rient.

- Ferme-la, Matt..., sourit Lauren.

Elle lui pique sa tartine et commence à la manger sans vergogne, ignorant les protestations indignées de Matt.

- Hé, ça va, te gêne pas, surtout !

- C'est mauvais pour toi, Matt. Surtout si tu veux encore entrer dans ta jolie chemise à rayures jaunes. Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu à la salle, tu vas perdre tes muscles.

Matt fait mine de la boxer, et la scène termine dans les rires.

Ensuite, comme une nuée, tout le monde se prépare en quelques secondes puis quitte l'appartement. Lauren part travailler au gymnase, Theo et Matt partent ensemble pour se rendre dans leurs facs respectives. La rentrée approche et ils ont tous les deux des dossiers à remplir. Darren rejoint son orchestre.

Alors que tout le monde vient de sortir, Lauren revient sur ses pas et, m'enlaçant avec passion, cherche mes lèvres avec fièvre.

- Ça va aller, Camz ? demande-t-elle tendrement. Ça te dérange pas de rester seule ?

- Non, je vais commencer mes recherches pour un boulot, expliqué-je.

- Je suis sûre que tu vas trouver. On se voit ce soir..., souffle-t-elle d'un ton plein de promesses.

Ça me fait bizarre de l'entendre dire cela. Il me semble que la journée va être très longue, séparée de ce corps qui me fait tant d'effet.

- L'ascenseur est là, Lauren ! crie Darren dans le couloir. Qu'est-ce que tu fais ?

Lauren hausse les épaules et, sans répondre à Darren, m'embrasse avec fougue. Comme si le peu de temps dont nous disposions la poussait à concentrer l'intensité de son baiser. Elle rejoint ensuite les garçons et je les entends plaisanter.

- Tu avais oublié quelque chose ?

- La ferme, Darren.

- Mais tu n'avais pas déjà embrassé Camila pendant tout le déjeuner ?

- La ferme, Theo.

- Elle te manque déjà ?

- OK, je descends à pied, moi, vous êtes lourds !

Les voix s'éloignent. Cela me rappelle que je suis la seule à ne pas avoir de travail ni de plan d'avenir. Hors de question de rester la seule à ne pas partir travailler...

Je m'installe dans le canapé en face de l'immense baie vitrée qui donne sur la ville et j'ouvre mon ordinateur. Première étape : trouver un travail.

Je me connecte à plusieurs sites d'offres d'emploi et, après avoir épluché les petites annonces, j'en retire une liste de boulots vacants : trois librairies, dix restaurants, six bars et sept magasins. Un bon début. Je passe la matinée à rédiger des lettres de motivation et je décide ensuite de les apporter en personne.

Je note les adresses sur un plan de la ville, pour tenter d'optimiser mon trajet. Je vais donc traverser Manhattan du sud au nord, monter jusqu'à Harlem pour finir dans Brooklyn...

En plus de mon parcours dans la ville, je compte bien déposer mon CV dans des endroits repérés en chemin, au culot. Au risque de me faire fusiller du regard par l'employé déjà en place.

A la fin de la première journée, j'ai récolté trois « trop jeune » et deux « pas assez d'expérience » ; un responsable de supermarché qui me reluque comme si j'étais une marchandise du rayon boucherie ; un « vous vous êtes trompée d'adresse, mademoiselle » (ça m'apprendra à écrire des trois comme des cinq) ; un autre « vous vous êtes trompée d'adresse, mademoiselle » (Je ne me suis pas trompée d'adresse, cette fois, mais c'est la seule façon que le type a trouvée pour me dire que ma tête ne lui revenait pas) ; trois « le poste est pourvu depuis un mois, et j'ai oublié de retirer l'annonce »..

Et pour le reste, des « non », avec toutes les variations possibles : « non, désolé » ; « non » tout court ; « non, vous n'avez pas d'assez pas d'assez gros seins (ça, le barman ne l'a pas dit, mais il l'a pensé tellement fort que je l'ai entendu. Et moi j'ai pensé tellement fort « gros con », qu'il l'a entendu. Oui, je l'ai peut-être dit, en fait. Je voulais rayer cette adresse de ma liste de toute façon.

Le bilan de la deuxième journée est sensiblement le même que celui de la première, mais dans un ordre différent, avec des ampoules aux pieds en plus.

Le bilan de la troisième journée est sensiblement le même que celui de la deuxième. Mais le découragement commence à peser plus lourd que mon sac.

Sur le chemin du retour, j'hésite à entrer dans une boutique de photocopies qui propose des tarifs très avantageux. Si j'imprime mon CV à cinq mille exemplaires et que je les jette du haut de l'Empire State Building, j'aurai peut-être plus de chances, en fait. J'entre dans la boutique, pour proposer mon CV.

- Merci, on vous rappellera si...

Blablabla.

Le soir de la troisième journée, un peu dépitée par cette avalanche de « non », je m'installe sur le lit et j'allume mon ordinateur pour chercher de nouvelles offres.

Apprends-moi/fan-fiction camrenWhere stories live. Discover now