Je me laisse guider à l'intérieur du café. La crainte de rencontrer quelqu'un que nous connaissons et qui nous pointerait du doigt en nous traitant de tous les noms me saisit. Heureusement, à cette heure matinale, la salle est presque vide. Seul un homme, installé au comptoir, boit un café. Absorbé dans la lecture de son journal, il n'a même pas tourné la tête à notre arrivée. Derrière lui, les tables en bois et les banquettes recouvertes d'un tissu bleu s'alignent face à l'océan. La lumière du jour qui se lève baigne la salle d'une lumière blafarde.

Le serveur endormi bâille en voyant Lauren s'approcher pour commander des cafés. Je me dirige vers le fond, pour trouver une place à l'abri, le plus loin possible du comptoir.

Une tasse de café apparaît devant moi. Lauren s'assoit, puis me saisit la main, par-dessus la table. Elle entrelace ses doigts aux miens. Ce contact me fait du bien, mais ne réussit pas à apaiser mon trouble.

Nous restons quelques secondes sans parler, les yeux dans les yeux. Abasourdis par notre détermination, impressionnés par la force qu'il nous a fallu pour tenir tête à Clara et mon père. Effrayées, aussi, en saisissant soudain pleinement les conséquences de notre fuite : nous nous retrouvons complètement seules, à présent. Plus de soutien financier. Plus de soutien d'aucune sorte, en fait.

Seules.

Je passe nerveusement les doigts sur le tatouage sur mon avant-bras.

Cette fois, il faudra plus qu'un dessin pour m'aider à trouver mon chemin...

Dans ma tête, les questions se pressent toujours, mais une seule l'emporte.

- Qu'est-ce que je vais devenir, maintenant ?

Je sursaute au son de ma propre voix. J'ai parlé tout haut, sans vraiment le vouloir. J'ai trop ruminé. Les mots sont sortis tout seuls.

- Comment ça, « qu'est-ce que je vais devenir ? » demande Lauren en pressant ma main un peu plus fort dans la sienne.

Je lève les yeux, paniquée.

Heu... elle est au courant de ce qu'on vient de faire, là ?

On ne peut plus faire marche arrière...

En tout cas pas moi.

Elle saisit mon autre main par-dessus la table et plante ses yeux dans les miens. Je me réfugie un instant dans le vert Ruby.

- Tu n'es pas toute seule, Camz. Je suis là. On est ensemble, à présent. On va se débrouiller, ensemble. Pour commencer, on va aller chez moi, à New York, explique Lauren d'un ton décidé, comme si elle avait réfléchi à cette option depuis longtemps.

- Chez toi ? demandé-je.

Mince, je ne sais même pas où c'est, chez elle.

- La maison de Cuba, c'est une maison de famille, pour les vacances. J'ai une vie, en dehors des vacances. Et un appartement aussi, glisse-t-elle avec malice.

Quand je suis arrivée chez Clara et Alejandro, dans leur immense appartement new-yorkais, j'étais à des années-lumière de chercher à comprendre qui était Lauren et si elle vivait ici ou pas. Ensuite, quand elle a débarqué à Cuba, nous avons été trop occupées à lutter contre notre attirance pour évoquer sa vie.

- J'habite en colocation, à Brooklyn, explique-t-elle. Tu verras, c'est grand. Confortable aussi. Nous aurons largement la place.

La perspective de me retrouver chez Lauren est aussi rassurante que séduisante. Mais est-ce que je ne devrais pas plutôt me débrouiller toute seule, tout de suite ? Me trouver un chez-moi, ne dépendre de personne...

- Lauren, je...

Lauren lâche ma main pour poser un doigt sur mes lèvres avec douceur. Son index m'a simplement effleurée et, pourtant, un frisson me parcourt la peau, jusqu'à la racine des cheveux.

- Je connais cet air renfrogné, Camz : ton cerveau est en train de s'agiter dans tous les sens pour chercher une solution « Camila, seule contre tous, qui n'a besoin de personne », je t'arrête tout de suite. On n'a pas tout plaqué pour être séparées. Je voudrais vraiment que tu viennes chez moi, tu y es plus que la bienvenue.

Je suis soulagée ; ses paroles me touchent. Tant par ce qu'elles impliquent matériellement que sur le plan des sentiments. Sa main glisse de mes lèvres pour m'effleurer la joue.

- Je veux être près de toi, souffle-t-elle, les yeux brillants. Et je veux que tu sois sûre d'une chose : je ne te laisserai jamais seule. Tu auras toujours un foyer auprès de moi. Quoi qu'il arrive.

Elle m'offre quelque chose qui n'a pas de prix, là ?

Mon cœur se met à battre à toute allure. Nous allons être ensemble, librement, sans nous cacher ! La joie m'envahit. Soudain, tous mes doutes s'évanouissent. Lauren veut rester avec moi à tout prix ! C'est ce que je désire, moi aussi, au plus profond de moi-même. Un sourire étire mes lèvres, auquel Lauren répond par un regard plein de tendresse.

Après avoir bu notre café, nous regagnons la moto. Au moment de monter, elle me fait délicatement pivoter vers elle.

- Ce que tu as fait compte beaucoup pour moi, Camila, murmure-t-elle, visiblement émue.

Ses mains glissent le long de mon visage et elle pose un baiser d'une infinie douceur sur mes lèvres. Nos langues se cherchent, timidement, comme si c'était la première fois que nous nous embrassions. En un sens, c'est la première fois. Jamais nous n'avons été libres de nous embrasser au grand jour.

Comme si tout s'emballait, nos bouches se dévorent soudain avec une avidité nouvelle qui sonne comme une promesse : tout va enfin pouvoir commencer. Quelque chose monte en moi, qui ressemble à de la joie.

Quand nous nous séparons, une lueur brille dans les yeux de Lauren. Elle me sourit, elle est heureuse, elle aussi, malgré l'inquiétude.

- Il y a à peu près trente kilomètres entre ici et l'aéroport. En début de soirée, nous serons à Brooklyn, explique-elle tout en s'installant. Es-tu prête à me suivre ?

Je hoche la tête.

Je crois que je pourrais la suivre au bout du monde.

La moto démarre. Blottie contre Lauren, je repense aux épisodes de ma vie tandis que la route défile sous nos yeux : ma mère, notre appartement, mon arrive à la Havane... Les bribes de souvenirs se succèdent. Jamais je n'aurais imaginé me trouver dans cette situation. Il faut dire que jamais je n'avais imaginé être un jour attirée par une fille avec cette force.

Je ne savais même pas que c'était possible.

Je suis terrifiée à l'idée de ce que nous allons trouver au bout de cette route, mais, à présent, l'excitation a pris le pas sur l'inquiétude. La vitesse, autant que le corps sensuel que je sens palpiter sous mes mains, à travers le blouson de cuir, me fait vibrer. Mon corps ne me trompe pas. Lauren est une des meilleures choses qui ne me soient jamais arrivées.

La meilleure.

Apprends-moi/fan-fiction camrenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant