Dehors, le vent hurle toujours, de plus en plus fort, même. Clara s'éclipse un instant et revient avec une demi-tonne de coussins et de couvertures.

- Je crois que personne n'a envie de retourner se coucher. Ça vous dit qu'on dorme tous ici ?

Tout le monde est partant. C'est la première fois que je vois les Jauregui partager un moment en famille. L'ambiance cosy me fait du bien, mais je me sens un peu étrangère, malgré tout : je ne peux pas m'empêcher de jeter des coups d'œil discrets du côté de Lauren ni de songer que je préférerais me retrouver seule avec elle.

Chacun se confectionne un cocon pour passer la nuit dans le salon. Clara et Alejandro s'installent sur le canapé, Sofia et Léo se font une cabane dans un coin. Je me retrouve blottie sous un monceau de couvertures, séparée de Lauren par un tas d'oreillers.

- Ça me rappelle la fois où on était coincés dans cette cabane de trappeur, Alejandro, tu te souviens ? demande Clara avec un sourire.

Mon père répond par un grognement indistinct.

- Quelle cabane de trappeur ? demande Lauren, intriguée. C'est quoi cette histoire ?

- Je ne t'ai jamais raconté ?

- Moi j'ai oublié..., ronchonne Alejandro.

- Oublier ? Vraiment ? Comme par hasard ! Je vais te rafraîchir la mémoire.

- Je ne sais pas si c'est vraiment le moment... Et puis ça n'intéresse personne, cette histoire.

- Si ! crie Sofia. Moi j'aime bien les histoires de trappeur !

Clara éclate de rire.

- Ah ! Tu vois !

Elle se redresse dans le canapé, et commence.

- L'an dernier, Alejandro a organisé une randonnée d'une semaine dans les Rocheuses. Il n'a pas voulu utiliser le GPS, retour à la nature oblige, et, autant le dire tout de suite, il nous a perdus dans la montagne, nous nous sommes fait surprendre par la nuit, mais il a refusé d'appeler les secours.

- On aurait retrouvé notre chemin le lendemain !

- Résultat, nous nous sommes réfugiés dans une cabane de trappeur qui sentait le raton laveur crevé pour passer la nuit.

- Alejandro dans une cabane de trappeur ! glousse Lauren. J'aurais bien aimé voir ça.

- Sauf qu'un ours s'est pointé, reprend Clara. Et il s'est assis devant la cabane. Il attendait son déjeuner...

- C'était vous, son déjeuner ? demande Sofia, mi- terrifiée, mi- amusée.

- Exactement ! Ton père était terrifié.

- Toi aussi, je te rappelle ! s'indigne Alejandro. Et tu oublies de dire que si cet ours est venu, c'est parce que tu avais oublié ton sandwich à l'extérieur de la cabane !

- Oh arrête, il serait venu quand même ! Ce n'est pas ça l'histoire.

- Mais alors comment vous en êtes-vous sortis ? demande Lauren, captivée par leur récit.

- Clara, tu mens ! s'indigne Alejandro. –

- Mais pas du tout ! Si nous sommes sortis de la baraque, c'est parce que j'ai jeté le sac de chaussettes sales d'Alejandro par la fenêtre ! Six jours de randonnée... L'ours a fait demi-tour ! Il est parti au triple galop !

- Ouah ! Elles devaient sentir drôlement mauvais, tes chaussettes ! s'écrie Sofia.

Lauren et moi éclatons de rire. Son rire me fait du bien, il me trouble aussi. Je risque un œil dans sa direction. Je ne l'ai jamais vu détendu face à mon père. Je contemplerais bien son visage apaisé pendant des heures, mais je détourne rapidement les yeux, de peur de me faire surprendre.

- T'as pas l'impression d'exagérer un tout petit peu ? grogne mon père. C'est surtout que les rangers que j'avais fini par appeler sont arrivés et que le bruit du moteur a fait fuir l'ours.

- Ça, nous ne le saurons jamais, conclut Clara. Moi, je pense que ce sont plutôt tes chaussettes.

Blottie dans mes couvertures, je regarde le feu et me laisse hypnotiser par les flammes dansantes d'abord, puis par les yeux verts de Lauren. Elle regarde les flammes, elle aussi, et le sourire qui éclaire son visage au récit de sa mère me réchauffe autant que le feu.

Clara et Papa font mine de se chamailler en se lançant des regards complices. Épuisée, Sofia a commencé à somnoler, serrant Léo dans ses bras.

Dehors, la tempête fait rage. Pelotonnée dans ma couverture, je me réchauffe doucement. La soirée a commencé sur les chapeaux de roue et l'ambiance apaisée me réconforte. Pour la première fois, je me sens bien, ici, devant la cheminée, chez les Jauregui. Une émotion soudaine m'étreint. Ça fait longtemps que je n'ai pas goûté le calme d'une soirée en famille. J'avais oublié que c'était si agréable.

Maintenant que la tension est retombée, la fatigue me gagne. Sous la montagne de couvertures et de coussins, personne ne peut voir ce que je fais. Je me laisse aller à la douceur de l'instant et, oubliant tout ce qui s'est passé, je glisse la main sous la couverture de Lauren et referme mes doigts sur la sienne. Elle ne la retire pas. J'entrelace mes doigts aux siens. Nos yeux se croisent, elle me regarde, avec une expression indéchiffrable. Mais je jurerais que je sens sa peau frémir.

- Merci d'avoir sauvé ma petite sœur, murmuré-je.

Apprends-moi/fan-fiction camrenWhere stories live. Discover now