Chapitre 29 - Adèle

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Sans avoir osé l'espérer, je retrouvais les esquisses de ma vie d'antan. Nous recevions des visiteurs afin de parler affaires ou art, tandis que le reste du temps, Thomas occupait le bureau ou courrait sur le terrain chaque fois que cela était nécessaire.

Nos nuits avaient un goût de bonheur fragile, chacune étant inédite. Si tous savaient que nous entretenions une liaison, nul ne nous en fit la remarque. Du moins pas en face. Loin des salons huppés de Londres ou d'occident, les mœurs n'étaient plus tout à fait les mêmes. L'on nous pardonnait ce péché puisque j'étais veuve, et lui de bonne compagnie. De plus, qui ne se complaisait, à la discrétion de ses volets à passer quelques nuits en compagnie de courtisanes expertes lorsqu'il en avait l'occasion ?

Je craignais parfois que Thomas ne se lasse de moi et remarque d'autres femmes, cette relation magique pouvait s'éteindre à tout moment et me laisser la mort dans l'âme. Nous étions associés, je lui avais remboursé son argent, il pouvait partir à tout moment. S'il m'avait libéré, il était tout aussi libre de disparaître.

Nous étions invités chez le gouverneur pour une soirée sans prétention et malgré que nous étions venus ensemble, je remarquai les regards féminins dans sa direction, ainsi que les chuchotis entre ces dames. Il est vrai que Thomas était bel homme et galant, sans compter qu'il pouvait aisément se faire des amis. Et alors que l'une d'elles vint à se joindre à ce cercle très fermé de mâles, s'invitant à son côté, presque comme une amie, il posa son regard sur moi.

J'en rougis, ouvrit mon éventail et fis danser les quelques mèches s'échappant de mon chignon. Mon cœur ne supporterait pas qu'il me quitte, je baissai les yeux tombant sur ceux d'un invité qui soutint mon regard. Je n'avais nulle envie de cela et préférai m'éloigner.

— Pardonnez-moi, il fait terriblement chaud, je vais prendre l'air un instant.

Le balcon donnait sur un jardin, la plupart des demeures cossues se permettaient ce luxe. Je soupirai, entendant des pas derrière moi ainsi qu'un toussotement afin d'attirer mon attention.

— Je vous demande pardon monsieur, puis-je demeurer seul avec ma compagne un instant ?

Je n'osai me tourner, ayant reconnus cette voix, il évinça le galant qui m'avait suivie et s'approcha. Je jouai de mon éventail, le cœur battant à tout rompre.

— Vous délaissez vos amis ?

— Ils survivront un moment sans moi, plaisanta-t-il. Je vous ai trouvé soucieuse, voulez-vous rentrer ?

— Non, il est simplement certaines choses auxquelles je ne souhaite pas assister.

Il garda le silence un instant, sans doute ne comprenait-il pas l'allusion à cette femme se rapprochant dangereusement de lui. Au lieu de cela, il passa ses bras autour de ma taille et m'enlaça.

— Je suis jaloux, susurra-t-il à mon oreille.

— Vous n'avez aucune raison de l'être, que devrais-je dire ? Vous êtes le point de mire de ces dames.

— Et pourtant une seule aura droit à mes faveurs cette nuit. Rentrons, que je vous prouve à quel point je vous désire. 

Ses mains glissèrent sur mon ventre, me faisant frissonner malgré la tiédeur du soir. Je défaillis, ses mots me convainquirent de le suivre, d'abandonner ces discussions de salons qui, au fond, étaient toujours les mêmes. Argent, politique, nouvelles d'Europe, rumeurs.

— De quelles lèvres parlez-vous ?

— Venez et je vous montrerai.

Je me tournai, le laissai m'embrasser avec passion, répondant tant à ce baiser qu'à son invitation. Il me tendit son bras et je le suivis jusque dans le vestibule. Était-il si pressé qu'il ne salua même pas ses amis ? Le majordome lui rendit son chapeau ainsi que nos manteaux lorsqu'un invité de dernière minute arriva.

À sa vue, tout désir s'évanouit. Il était vrai que si cet homme avait permis notre rencontre, il pouvait en quelques mots défaire tout de notre complicité. Tyler Miller nous observa tous deux, surpris avant d'adopter un sourire hypocrite, nier ma présence tout en s'adressant directement à mon compagnon.

— Tom, quelle surprise de voir voir ici à Bombay, vous étiez parti si vite la dernière fois.

La femme de l'antiquaireWhere stories live. Discover now