Chapitre 17 - Adèle

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Ainsi, si je me m'étais montrée plus patiente, j'aurais pu prendre le bateau à vapeur et rentrer sans encombre. Mais je n'aurais certainement jamais rencontré Thomas Winter. Peut-être l'aurais-je croisé sur le pont. Nous nous serions échangés quelques mondanités, ses traits m'auraient certainement troublé tout autant. Mais ensuite ? Nous nous serions séparés une fois à bon port. M'aurait-il proposé de le revoir ? Aurait-il poursuivit sa route et moi, la mienne ? Nul ne pouvait le dire. Ce dont j'étais certaine, c'est qu'il était à mes côtés aujourd'hui. Par intérêt malheureusement.

Cette dernière nuit encore, je m'étais réveillée entre ses bras, rêvant de ma vie d'antan. Étrangement, il ne m'en fit jamais la remarque ni le moindre reproche. Je devais avouer que je le comprenais de moins en moins. Tout d'abord hautain, clamant que je lui appartenais, il se présentait aujourd'hui tel un gentleman. Un gentleman qui, certes, occupait ma maison, mais je préférais finalement qu'il reste ici plutôt que de retomber dans les filets de Miller et de croire à ses boniments.

Nous embarquâmes à bord de l'Enterprise, direction Bombay. C'était le bâtiment le plus moderne qu'il m'ait été donné de voir dans cette partie du globe. Thomas insista pour que nous partagions une cabine, je ne le contredis pas. Les lits étaient simples et séparés et je crus déceler une légère grimace lorsqu'il s'en aperçut. Apparemment nos nuits n'étaient pas pour lui qu'un moyen de pression ou d'affirmation, il y prenait goût. Tout comme moi.

Notre dernière escale comme prévu avant de prendre définitivement le large se situait à Mocha, lors du transfert de combustible à bord, il nous fut proposé de nous dégourdir un peu les jambes et de fureter sur le marché. Je ne pus m'empêcher, espérant y trouver quelques fruits à ramener à bord.

— Ne vous éloignez pas de moi, me conseilla mon protecteur.

Je ne risquais pas de commettre cette bévue, plus après la mésaventure qui m'était arrivé. Je pris son bras et remarquai qu'il souriait. Je ressentis une étrange fierté de me trouver ainsi à ses côtés. Il dégageait une certaine prestance, ayant trouvé puis adopté une canne que Henry chérissait tout particulièrement, et fit se tourner des dames en sa direction malgré que nous passions pour un couple tout à fait officiel.

Je m'arrêtai devant une échoppe et le lâchai le temps de palper quelques oranges lorsqu'un homme poussant une charrette à bras vint à passer. Il fut bousculé, perdit l'équilibre et déversa une partie de son chargement sur la terre sèche.

— Oh ! Un instant, je vais vous aider.

Thomas se précipita à son secours, l'aidant à redresser tandis qu'une femme vint à moi, tendant la main et balbutiant dans un langage régional que je ne compris pas. Je cherchai quelques pièces lorsque nous fûmes toutes deux poussées à notre tour. On tenta de me dérober ma bourse. Je la retins contre moi, la femme s'en mêla. Il s'agissait d'un traquenard, à quelques mètres, d'autres touristes se faisaient également malmener afin d'être détroussés.

— Thomas ! criai-je alors que lui-même était assailli.

Il se servait plutôt habilement de sa canne, rossant ces bandits tout en revenant vers moi, il fit bouclier.

— Restez bien derrière moi. Ils sont nombreux, j'espère que quelqu'un a averti les autorités.

Certains passagers coururent à bord, et quelques instants plus tard, ce fut le personnel du bateau lui-même qui parvint à faire fuir les voleurs. La rixe se dissipa, laissant le petit marché dans un triste état et les voyageurs molestés. J'étais accrochée à sa veste et du faire un véritable effort pour m'en défaire.

— Adèle ? Tout va bien ?

— Je crois que oui, grâce à vous.

— Remontons à bord.

Mais avant je me précipitai entre ses bras, j'avais eu si peur. Peur pour lui également.

— Je vous l'avais dit, nous sommes désormais associés et je vous protégerai. Vous me croyez à présent ?

La femme de l'antiquaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant