Chapitre 1 - Cinq hommes drapés de noir

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  Le front collé à l'encolure de l'animal, Céliane était attentive au moindre son qui l'entourait. Les yeux fermés, elle était capable d'entendre le bruissement des feuilles dans le vent, les pas feutrés d'un chat dans la cour et les battements réguliers du cœur de l'équidé contre sa joue.

  Elle ouvrit les yeux et se décala de quelques pas, la poitrine gonflée par la même quiétude sereine que celle qui baignait les lieux.

  La jeune fille se remit à frotter avec énergie la robe alezane du cheval jusqu'à en retirer les dernières traces de poussière et de sueur. L'animal semblait apprécier les gestes doux et maternelles de l'adolescente ainsi se laissait-il faire sans bouger. Seuls ses yeux caramel la fixaient avec attention.

  — Je dois te laisser mon beau, souffla-t-elle avec un léger sourire aux lèvres.

  Elle referma la porte du box de l'animal et passa en revue l'écurie. L'endroit n'était pas très grand ; seulement la place pour cinq ou six box alignés comme une rangée de soldats. La plupart se trouvaient vides, et cela s'expliquait au peu de visiteur que recevait l'auberge chaque jour.

  Les odeurs de paille et d'excréments remplissaient les narines de Céliane qui s'en délectait avec joie. Elle aimait passer du temps en compagnie des animaux, en solitaire.

  Un bruit attira soudainement son attention. Ses oreilles l'avertissaient que sa paix allait bientôt prendre fin : des bruits de pas contre les cailloux parvenaient jusqu'à elle. Céliane plissa le nez et sentit sa sérénité s'en aller à tires d'ailes. Elle pouvait déjà entendre les remontrances d'Orgon, l'aubergiste, ainsi pressa-t-elle le pas vers la sortie.

  Les écuries longeaient la bâtisse sur la gauche et débouchaient dans une petite cour. De là, Céliane pouvait voir le seuil de l'auberge, puis venaient les quelques mètres de cailloux et enfin se dressait les deux poteaux en bois sombre où l'enseigne indiquait, d'une écriture à peine lisible à cause des intempéries : "Au palais des saveurs".

  Elle esquissa un sourire moqueur au nom assigné à l'auberge. La bâtisse aux murs blancs recouverts de chaux ne payait pas de mine. La façade, avec son lierre qui attaquait la pierre et les innombrables fissures qui ressemblaient davantage à des rides lui donnaient un air de centenaire. Pas un palais, donc.

  Alors que la jeune fille recherchait les auteurs des bruits perçus il y a quelques instants, elle découvrit non pas un ni deux, mais cinq hommes drapés de noir au centre de la cour. Son cœur bondit dans sa poitrine et elle se recula dans une ombre prodiguée par un arbre solitaire, à l'entrée de l'écurie.

  De là où elle se trouvait, Céliane pouvait facilement reconnaître la silhouette trapue et maladroite de son patron. Orgon discutait de vive voix avec ses convives. Mais malgré son excellente ouïe, la jeune fille ne percevait que des bribes. Ils se trouvaient trop loin d'elle, de l'autre côté de la cour.

  La curiosité la tenaillait et elle hésitait à s'avancer à leur rencontre. D'après les intonations de voix, les inconnus ne semblaient pas d'humeur joyeuse. Mais elle ne pouvait percevoir leurs traits, si ce n'est les longues capes noires dont ils étaient vêtus.

  Céliane était partagée entre son désir de s'approcher — il ne s'était jamais rien passé en quatre ans de vie ! — et sa crainte de se faire rabrouer par Orgon.

  J'ai une autre solution.

  Cette pensée murmura dans son oreille, doucereuse et tentante. Céliane répugnait à se servir de choses qu'elle ne connaissait pas. Mais elle ne pouvait pas rester cachée sans agir !

Les Peuples de la Nuit : Alliances [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant