Chapitre 9

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Chambre 212. Enzo Laville lutte pour ne pas s'endormir, un livre à la main : « Le portrait de Dorian Gray » d'Oscar Wilde. En dépit de sa concentration vacillante, et alors qu'il ne pensait pas lire plus de deux pages il attaque déjà la trentième. Même s'il n'a jamais été un grand amateur de littérature, Enzo aime à relire régulièrement quelques-uns des classiques qui l'ont marqué. Il se retrouve tout particulièrement dans les mots de Wilde qui n'ont qu'un objectif : séduire, charmer avec brio et un brin de désinvolture provocatrice. L'irlandais en avait fait un art de vivre et d'écrire. Du temps où il tenait encore sur ses pattes, on disait d'Enzo qu'il était un séducteur compulsif. Probablement les séquelles d'une enfance à la DASS qui aurait pu lui en laisser de bien pires si Henri Laville ne l'avait pas adopté. A partir de ce jour, il n'avait manqué de rien, ni d'affection, ni d'éducation, ni de confort. Son père de cœur lui avait offert une deuxième naissance avec un jeu redistribué bien plus favorable. Cependant, la blessure lointaine de sa prime enfance ne s'était jamais véritablement refermée. Dès que l'occasion se présentait, d'abord à l'école, puis plus tard au travail, dans un restaurant, ou dans le métro, il fallait que l'attention soit focalisée sur lui. Il devait à tout prix capter le regard de cette belle inconnue, qu'il éblouisse ses amis avec son sens de la formule et sa démesure, qu'il impressionne ses collègues par sa capacité à enchaîner les succès. De même, il avait sans doute choisi un métier artistique pour qu'à travers ses créations ce soit encore vers lui que se tournent les regards. Il s'était très vite fait une place enviable dans la pub, un monde où l'image est reine, autant celle que l'on imagine pour les clients, que celle que l'on se fabrique pour ne pas dépareiller au quotidien au milieu de ses pairs. Déjà doté d'un physique avantageux, Enzo s'était mué en jet-setter au corps sculpté par Michel-Ange, au teint hâlé été comme hiver. Avec son physique de mannequin et son esprit ultra créatif, sa quête de reconnaissance avait été au-delà de ses espérances. Après quelques années à se faire la main dans une grande agence, il avait réussi à ouvrir la sienne et à en faire l'une des mieux cotée de la capitale. Les femmes étaient à ses pieds, les amis se multipliaient comme les pains. Pourtant, il n'en avait jamais assez. Il lui fallait aussi se faire aimer par les quelques réfractaires à sa personnalité. Il n'y en avait pas beaucoup mais c'était justement ceux-là qu'il voulait comme meilleurs amis ou pour maîtresse. Pour ça il était prêt à tout. Même à se couvrir de ridicule. Un jour, une nouvelle stagiaire est arrivée à l'agence. Plutôt mignonne, vingt-deux ans, bien élevée mais pimbêche comme pas deux. Tous les mecs paradaient plus ou moins pour se faire remarquer, comme à chaque fois que de la chair fraîche s'exposait en rayon, mais sans succès, et Enzo ne dérogeait pas à la règle. La fille lui plaisait vraiment et comme à son habitude dans pareil cas, la démesure était sa meilleure alliée. La seule méthode qu'il connaissait et qui marchait dans quatre-vingt-dix pour cent des cas était le feu d'artifice d'esbroufe. Pour commencer il s'était acheté une Audi TT, le genre de bagnole que seul James Bond peut conduire sans avoir l'air d'un flambeur vulgaire et insupportable. La nana n'a jamais voulu monter dedans. Ensuite il lui avait proposé de lui apprendre toutes les ficelles du métier et d'en faire son assistante, en lui promettant une carrière fulgurante. Ce fut « Niet ». Elle se contenterait de son stage de trois mois, ni plus ni moins. Alors il s'était débrouillé pour avoir son adresse afin de lui faire livrer un bouquet de roses de couleurs différentes pour chaque jour de la semaine (blanches le lundi, roses le mardi, rouges le mercredi etc...), sans plus d'effet. Sans se décourager il lui avait présenté toutes les célébrités qu'il connaissait, sûr et certain que ce serait le coup fatal. Ni Frédéric Beigbeder, ni Jacques Ségéla, ni les têtes d'affiche du showbiz, ne purent faire pencher la balance du bon côté. Au mieux Enzo décrochait-il un sourire vaguement condescendant qui ne pouvait résumer qu'une seule pensée : « Tu n'es qu'un pauvre con, mais continue à te fatiguer pour moi si ça t'amuse, plus tu en feras, plus je te mépriserai ». Fou de rage, Enzo avait fini par prendre la fille entre quatre yeux. 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant