Chapitre 8

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Oh when the Saints, go marchin' in, Oh when the Saints go marchin' in... 

Léa se réveille en sursaut. La sonnerie de son portable l'a tirée d'un profond sommeil. Louis Armstrong et ses Saints lui annoncent en chanson qu'elle vient de recevoir un SMS : « Vous avez raison: les miracles n'existent pas. Henri. »
Une main devant les yeux pour se protéger du soleil qui l'éblouit, Léa refait surface avec difficulté. Le jardin du Luxembourg s'est rempli. Des enfants courent un peu partout ou s'amusent avec des bateaux modèles réduits sur le lac improvisé que leur offre la fontaine en face du Sénat. Les chaises sont presque toutes occupées, partout les touristes se délectent de leur sandwich en flânant. Combien de temps s'est-elle assoupie ? Peu importe, cette coupure lui a fait du bien. Elle cherche au fond de son sac ses lunettes de soleil et une fois protégée derrière ses carreaux noirs, lit une seconde fois le message d'Henri. Le connaissant, il ne l'a pas envoyé comme ça, histoire de passer le temps, il a dû réfléchir à beaucoup de choses pendant que le train avalait les kilomètres et ressentir le besoin de l'exprimer par ce court message. Léa hésite à lui répondre mais elle ne trouve rien à dire. Ses pensées se sont à nouveau tournées vers le problème le plus urgent du moment : Malik et sa bande de gros bras décérébrés qui occupent son appart'. La rue Monsieur le Prince est juste à côté du jardin. Pourquoi ne pas y faire un tour pour voir s'il y a du nouveau ? Décidée, elle rassemble ses petites affaires et abandonne sa place aussitôt récupérée par un touriste japonais aux pieds douloureux tout à sa joie de pouvoir faire une pause. Avant de s'installer il demande à Léa dans une gestuelle universelle si elle veut bien le prendre en photo devant le bassin. Elle se prête de bonne grâce au jeu puis s'éloigne en ayant la désagréable impression que le Japonais, malgré les trois clichés qu'elle a pris, est resté désespérément flou sur les photos. Juste une impression stupide. En plein soleil, avec un automatique, même pour un piètre photographe c'est impossible. Un léger vertige, sans doute dû aux anxiolytiques qu'elle a pris, la déstabilise un peu mais elle se dirige d'un pas rapide vers la sortie qui donne en face du café « Le Rostand » situé non loin du boulevard Saint Michel.

Quelque part... Nous sommes dans un jardin qui pourrait ressembler à celui du Luxembourg ou à n'importe quel autre endroit semblable de Paris. Des arbres, des bancs, quelques statues inspirées de l'antiquité noircies par la pollution, des massifs de fleurs, des étendues de pelouse bien verte. Cela pourrait être un cadre charmant pour une petite promenade en amoureux sans ce vent fort qui fait bruisser le feuillage des arbres en une lugubre complainte. L'endroit est absolument désert. Soudain, un jeune homme fait irruption en courant dans l'allée principale bordée de marronniers. Est-ce le vent qui fait passer les nuages à toute vitesse devant le soleil qui donne cette impression ? Quoiqu'il en soit, son visage semble passer en permanence de l'ombre à la lumière, si bien qu'on ne peut jamais vraiment en saisir une image précise. Ses traits principaux sont ceux d'un adolescent d'une vingtaine d'années, voilà tout ce que l'on peut avec certitude affirmer le concernant. Un piercing brille sous sa lèvre inférieure. Ses cheveux noirs attachés en queue de cheval tombent sur sa nuque. Il est vêtu d'un t-shirt gris anthracite sur lequel est inscrit « FUN » en lettres rouges, d'un jean slim noir, et de baskets blanches. Comme beaucoup de jeunes d'aujourd'hui il porte un casque griffé sur les oreilles et écoute la musique de son MP3 le volume poussé à fond. Ça ne l'empêche pas d'être tout à son affaire. Il est sur le point de mettre fin à une partie de cache-cache qui dure depuis trop longtemps à son goût. Il n'est pas sans ignorer ce que pensent certains de ses camarades qui le considèrent maladroit, enclin à se lancer sur de fausses pistes, qui le prennent pour un loser en somme. Il n'est pas très expérimenté certes, mais il apprend vite. Il va le leur démontrer sans attendre. Comme toujours en pareilles circonstances, il éprouve une jubilation sans égale. Son instinct de chasseur s'est mis en branle, sa proie ne peut plus lui échapper, il faut simplement qu'il soit attentif et déterminé, voilà tout. Allez mec, montre leur de quoi t'es capable ! S'encourage-t-il intérieurement. Le vent, de plus en plus déchaîné, souffle en longues rafales hurlantes. Sur sa droite le jeune homme remarque un grand enclos rempli d'autruches. Affolées par la tempête, elles courent dans tous les sens en claquant du bec d'effroi. Ce vacarme du diable couvre presque sa musique. Il dépasse rapidement l'enclos sans se soucier des volatiles et arrive sur une vaste esplanade qui donne sur ce qui pourrait ressembler à un temple bouddhiste entouré d'une forêt de bambous. C'est alors qu'il aperçoit enfin l'objet de sa présence ici : Une adolescente en rollers, elle aussi équipée d'un casque sur les oreilles, qui traverse tranquillement la grande étendue dallée dans la largeur. Elle dodeline de la tête au rythme d'une chanson des BB brunes. Sa préférée. « Trois minutes cinquante de kiffe » comme elle dit. Lorsque celle-ci s'achève, car tout a une fin, elle vire sur sa gauche et prend la direction du large escalier qui permet d'accéder au bâtiment. Celui-ci a été construit en bois et peint avec des couleurs vives. Sa toiture qui se déploie en pente douce, est entièrement dorée à la feuille. Quelques marches à monter en crabes pour ne pas avoir à retirer ses rollers et la jeune fille pourra en visiter les vastes salles que l'on dit sublimement décorées.
Cette fois je te tiens ! Je savais que je te trouverais ici ma princesse. Je suis trop fort ! Jubile le garçon au piercing. C'est à cet instant qu'un type surgit sur l'esplanade comme venu de nulle part. Il promène un boxer ou c'est plutôt le boxer qui le promène dirait-on. Le gars a toutes les peines du monde à contenir l'énergie de son compagnon à quatre pattes qui tire sur sa laisse comme un dératé. Ce dernier donne un énième coup de rein pour aller renifler le tronc d'un arbre et clac ! son collier lâche. Ok, Tout va se jouer maintenant, pense le jeune homme. La demoiselle est déjà rendue à la moitié de l'escalier et il estime que si elle venait à entrer dans le temple il lui serait bien plus difficile de parvenir à ses fins avec elle. Dans un endroit clos c'est toujours plus difficile.

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant