Souvenir - Aurore 10

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Papa et maman ne desserrent pas les dents. Depuis que nous avons pris la route, ils ne disent pas un mot. Moi, assise sur la banquette arrière, je n'ose pas poser de question. Sur mon épaule, Automne essaie de me soutenir en silence. Sa présence me rassure, comme d'habitude. Je serre très fort mon poing autour de mon médaillon. Je sais que quelque chose ne va pas.

Si l'on prend la route, il ne peut y avoir qu'une raison valide : quelque part, une fée est en danger. Mais aujourd'hui, c'est différent. Jusqu'à présent, nous nous rendions au chevet d'une fée le cœur presque léger, sachant que nous allions pouvoir la guérir. Ou plutôt sachant que je pourrais la guérir, grâce à mon rire, grâce à mes dons.

Mais aujourd'hui, Merry n'est pas là. Nous nous sommes disputées. À l'école, mes amis ne croient plus aux fées, pas plus qu'au père Noël ou à la petite souris. Moi je ne dis rien. Je fais comme si j'étais d'accord. Cela fait longtemps que leurs fées sont parties. Longtemps qu'elles sont avec moi. Deux ans, presque trois pour certaines. Je me fiche que mes amis ne croient plus en elles, de toute façon, tant que je suis là, ce n'est pas dramatique.

Merry ne s'en fout pas. Elle m'a dit « t'aimerais toi, ne plus jamais me voir ? » et elle est partie.

Automne m'a dit qu'elle avait raison « tu sais, c'est en entendant les autres dire que les fées n'existent pas que les enfants cessent de croire en nous ». J'ai pleuré quand elle m'a dit ça. Automne ne trouve jamais que Merry a raison. Jamais.

J'ai passé le reste de la journée dans mon coin. Quand mes amis me demandaient, je ne pouvais pas leur dire ce qui n'allait pas. Ils m'auraient prise pour une idiote si je leur avais dit la vérité.

Ma fée me boude.

Le soir, j'ai enfin pu parler à mes parents mais ils n'ont pas compris. Papa a dit :

— C'est qu'elle a peur, tu sais ?

— Oui a dit maman, elle sait que tu grandis, et elle a peur que tu cesses de croire en elle.

J'ai voulu dire « Mais non ! N'importe quoi ! Je n'arrêterai jamais de croire en elle ».

— Je sais que pour le moment cela te parait absurde. Mais tu verras.

J'ai pensé qu'ils avaient tort. Eux y croyaient encore, n'est-ce pas ?

— Tu sais, a continué maman, nous aussi nous avons cessé d'y croire, un moment.

— C'est vrai, a dit papa, nous sommes revenus à la raison ensuite, il était trop tard. Nous avions perdu nos fées. Nous en avons sauvé des centaines, mais pas les nôtres.

J'ai fait la moue, les bras croisés sur la poitrine. N'importe quoi.

— Je sais ce que tu penses, a encore dit maman, tu ne vois pas comment tu pourrais ne plus croire aux fées alors que tes deux parents chéris sont là pour te dire qu'elles existent bel et bien.

Exactement !

— Tu sais, un jour, tu auras tes propres doutes. C'est naturel et c'est bien comme cela.

— Tu vas grandir, a dit papa.

— Tu verras, a conclu maman.

J'ai pensé « Jamais ! Jamais de la vie ! Je le jure ! Jamais ! ».

Mais je n'ai rien dit. Ils verraient bien. Quand je serai vielle et que Merry sera toujours là, ils verront qu'ils ont eu tort. Peut-être que les autres oublient les fées. Mais pas moi. Jamais de la vie. Jamais. Jamais. Jamais !

Ce matin, on a eu une alerte pour une fée. Mais Merry n'était toujours pas revenue et je ne voulais pas partir sans elle. Et si elle vient et qu'elle ne me trouve pas ? Si elle croit que je l'ai abandonnée ? Et si c'est elle qui cesse de croire en moi et que je meurs ?

Papa a dit que Merry comprendrait, parce que c'est une fée et qu'elle comprend que je doive venir en aide aux autres fées, comme je suis la seule à le pouvoir.

Je n'ai pas voulu les suivre dans la voiture. Papa m'a dit d'arrêter mon caprice. Je n'ai pas voulu monter dans la voiture.

Finalement, Automne a dit que Quenotte allait rester pour attendre Merry à la maison pendant que nous irions sauver la fée. Elle a promis qu'on se dépêcherait et qu'on serait vite de retour.

Je suis montée dans la voiture.

Maman a dit « on va arriver trop tard », et ni elle ni papa n'ont plus rien dit d'autre.

 

Quand la voiture s'arrête, je repère tout de suite la fée. Elle est couchée sur une vielle balançoire dans le jardin. Sa lumière vacille. En la voyant, je regrette tout de suite de ne m'être pas précipitée pour elle. Elle a besoin de moi.

— Vas vite la voir, dit maman en me posant la main sur l'épaule. On est arrivé à temps finalement.

Je cours vers la balançoire et m'agenouille dans l'herbe.

— Bonjour, dis-je.

La fée tourne son visage minuscule vers moi.

— Il ne croit plus en moi, répond-elle.

— Je sais. Mais moi si !

Je jette un œil vers mes parents. Ils me regardent de loin, Automne à leur côté. Sauver les fées, c'est mon rôle à moi.

— Comment tu t'appelles ? Je demande.

— Fortune.

— C'est un joli nom. Moi c'est Aurore.

— On dirait un nom de fée, dit-elle avec un pauvre sourire. C'est gentil de venir me voir. J'avais peur d'être toute seule.

— Je suis venue pour te sauver !

— Me sauver ?

— Oui.

Je me racle la gorge avant de continuer :

— Quand j'étais petite et que j'ai ri, je n'ai pas eu qu'une fée, j'en ai eu trois. Depuis, j'arrive à sauver les fées. Je viens leur parler et leur lumière se rallume. C'est chouette, non ?

— Trois fées ?

— Oui. Mes parents voulaient sauver Automne et Quenotte. Quand elles ont entendu mon premier rire, ça les a fait renaitre. Et puis il y a Merry qui est ma vraie fée...

Merry.

En parlant d'elle, j'ai les larmes qui me montent aux yeux.

— Ça ne va pas ? Me demande Fortune.

— C'est à cause de Merry. On s'est disputées et je ne sais pas où elle est. Je ne l'ai pas vue depuis hier.

— Ne pleure pas, murmure-t-elle. Elle va revenir.

— Comment le sais-tu ?

Je pleure pour de bon cette fois.

— Je le sais, parce que je suis une fée. Les fées reviennent toujours vers leur enfant. Toujours. Nous ne pouvons pas vivre sans eux.

— Mais si elle meurt avant de revenir ?

— Elle ne va pas mourir. Sûr que non. Ta fée ne peut mourir que si tu ne crois plus en elle. Et toi, tu crois en elle, pas vrai ?

— Je croirai toujours en elle, dis-je.

— Vraiment ?

— Je le promets !

Elle sourit. Quand je sauve une fée, elle sourit toujours d'abord.

— Allez, dit-elle, sèche tes larmes.

C'est ce que je fais. Mais quand je rouvre les yeux, je m'aperçois que Fortune n'est pas sortie d'affaire comme je l'avais cru. Sa lumière est plus pâle que jamais. Elle sourit toujours pourtant.

— Je suis contente de t'avoir rencontrée, dit-elle.

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