Souvenir - Aurore 13

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Je me retourne sur mon oreiller. Mon réveil vient de sonner. Encore. C'est la troisième fois. La dernière. Il ne reste plus que cinq minutes. Cinq petites minutes. Minuscules minutes avant qu'il ne soit trop tard.

Je sais qu'il est l'heure. Ou plutôt, une partie de moi le sait. Celle qui est rationnelle, qui sait ce qui doit être fait. Mais cette partie-là est bien petite devant l'autre.

L'autre, c'est la part de moi qui n'est pas consciente, qui prend les commandes quand je suis dans les bras de Morphée. Il guide mes pas quand je n'y prête pas garde. Il fait fourcher ma langue et il continue de penser toujours quand je vide ma tête.

C'est lui qui répond aux fées.

En cet instant, toute blottie que je suis dans mon édredon, il a le pouvoir.

Les fées disent « Révélation » et il s'imagine aussitôt pouvoir remplir le vase du temps en y pressant des oranges. Pour lui, le temps est devenu un vase percé dans lequel flotte une pomme. Si la pomme touche le fond du vase, m'explique-t-il, j'aurai passé le point de non-retour : je serai en retard. Mais il ne désespère pas. Le jus d'orange, dit-il, remplace l'eau avantageusement. La pomme continuera de flotter, c'est là sa volonté.

Les fées disent "peur", j'émerge un peu. Je crains de ne pas me réveiller à temps. Aussitôt après, elles disent « joie » et il replonge dans son délire, m'entraînant avec lui. Il est « ravi » de pouvoir dormir plus longtemps, « inquiet » de ne plus avoir d'oranges, « rassuré » de trouver des pamplemousses, « agacé » de devoir faire des calculs pour savoir combien de temps il lui reste.

Soudain, les fées disent « révélation » à nouveau et c'est moi qui réalise que je suis en plein délire.

Tout de suite après, elles disent « colère » pour me faire réagir, mais c'est lui qui s'énerve. Il a plus envie de dormir que je n'ai envie de me lever à temps.

J'ai l'impression d'être encore plus fatiguée que lorsque mon réveil a sonné pour la première fois. Mon subconscient défie la raison pour moi et cela n'est pas de tout repos. Je réfléchis à toute allure pour lui, pour le rassurer. Pour l'apaiser, je presse mentalement des fruits imaginaires dans un vase qui n'existe pas. Je suis malgré moi sa complice, il se blottit grâce à moi dans la certitude absurde que les minutes s'écoulent au ralenti.

Quant à moi, je compte. Je me triture les méninges pour savoir combien de temps il nous reste. Sans y parvenir. Comment le pourrais-je ? Mon imagination est impuissante à altérer la réalité.

Je transpire tandis qu'il dort. Ou je dors en transpirant.

Depuis des années, mes cauchemars ont pris cette forme de lutte intérieure.

Les fées ne savent plus quoi faire pour m'aider. Mon inconscient répond bien mieux que moi à leurs appels. Elles disent « urgence » pour me secouer. Ce sentiment m'emplit et je crains d'avoir fait des erreurs de calculs. Une seule manière de le vérifier : j'attrape mon réveil.

J'ai déjà laissé filer les cinq minutes prévues. Je dois être au collège dans huit minutes à peine. Sachant qu'il m'en faut six pour m'y rendre en courant, si je déjeune sur la route, il me reste deux minutes pour me lever.

Deux minutes ?

Si je presse une autre orange, cela me laisse encore pas mal de temps, non ?

Je replonge dans mon oreiller.

SplendeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant