Chapitre 1 : Le noir | tw

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Alors que j'étais sur le point de sortir une clope, elle soupira.

— Quoi ? m'écriai-je spontanément.

— Tu sais très bien ce que je pense de ça. Mais visiblement t'es à cran sans cette merde...

— Je suis toujours à cran, ajoutai-je à sa remarque.

Elle leva les yeux au ciel puis prit une longue inspiration. Elle n'avait plus envie de se taire et j'allais devoir subir cette lourde conversation.

— Je peux essayer d'en parler avec mon père. Tu sais, il n'est pas aussi dur qu'il n'y paraît...

— Ne te fatigue pas pour ça. Au pire, je trouverais un moyen de me débarrasser de cet endroit et trouver quelque chose de mieux...

— Et tu feras ça comment si tu finis pas le lycée ? me provoqua-t-elle d'un air assez mesquin.

Je tirai une taffe pour éviter de lui répondre. Tout le monde avait décidé de m'énerver de bon matin. Merveilleux.

Et le bus ne venait pas à ma rescousse. Alors je continuais de fumer sans lui répondre. En croisant quelques fois son regard, je voyais à quel point elle m'en voulait de la laisser en plan. Je haussai les sourcils et elle leva les yeux au ciel.

— C'est vraiment ça que tu veux pour ta vie ? Tes parents ne sont plus là, tu peux reprendre enfin ta vie en main. Pourquoi tu veux tout bousiller ?

Je jetai ma clope par terre et l'écrasai en évitant encore une fois de lui répondre. Que pouvais-je bien lui dire ? Pensait-elle vraiment à ce point que je le faisais exprès ?

Cette fois-ci, le bus arriva et je me glissai jusqu'au fond en espérant encore une fois enterrer cette insupportable conversation. Du coin de l'œil, j'aperçus Sofia, cette belle brune populaire qui ne se gênait pas pour me lancer son habituel sourire narquois. Elle savait que tout le monde la regardait et elle en profitait pour asseoir sa domination. Les uns la désiraient, d'autres la jalousaient. Étrangement, elle m'avait toujours laissé indifférent. Et je la regardais d'un air blasé en attendant qu'elle détourne son attention la première.

Même quand son petit-ami du moment la rejoignit pour l'embrasser sur la joue, elle me fixait encore. Son air machiavélique s'accentua sur son visage et elle espérait vraiment que je ne sois qu'un parmi tant d'autres. Un mec qui voudrait son corps et son cul.

Son copain se tourna alors vers Paris et moi, l'air furieux.

— Hé ! T'as un problème avec ma copine ? lança-t-il, furieux.

Je ne cherchais même pas à lui répondre et me tournai vers la vitre, regardant les décors qui défilaient. Je commençais à les connaître par cœur. On passait toujours par les mêmes rues, les mêmes pelouses verdoyantes, les mêmes maisons, les mêmes personnes... Rien de bien extraordinaire et c'était suffisant pour le moment. J'avais besoin de me déconnecter de tout pour quelques minutes.

Paris posa sa main sur mon épaule et ce simple contact me brusqua. J'en sursautai et repris aussitôt mes esprits.

— Ça va ? s'enquit-elle.

— J'étais ailleurs...

— J'avais bien vu ça. T'as pas beaucoup dormi cette nuit...

— Comment aurais-je pu bien dormir quand je savais que j'aurais cette conversation avec ton beau-père le lendemain ? demandai-je avec une pointe d'ironie.

— Il essaie de trouver des solutions, le défendit-elle. C'est pas forcément évident...

— Je crois qu'on devrait arrêter la conversation ici avant que ça s'envenime, capitulai-je froidement.

Mon regard se posa de nouveau sur le paysage. Même si Paris n'appréciait pas vraiment son beau-père, elle ne cesserait de le défendre, parce qu'il l'avait poussée à croire qu'elle lui devait le respect.

Son beau-père avait toujours été un privilégié. Un fils de puissants avocats qui avait suivi le chemin de ses ancêtres. Les affaires du cabinet étaient de plus en plus florissantes chaque jour. Et des cas comme les miens, ce n'était que quelques lignes dans un dossier qu'il oublierait le lendemain.

Sauf que cet homme avait tenté de passer pour quelqu'un de bienveillant et humaniste. Il prétendait avoir sauvé une femme veuve et sa fille de l'horreur. Ce qu'il en était advenu au père biologique de Paris n'avait rien d'un conte de fées, mais comme elle ne l'avait jamais connu et qu'il ne l'avait jamais élevé, elle n'y avait accordé que peu d'importance. Stanford était le seul qu'elle considérait comme son père et elle le respectait pour tout ce qu'il avait fait pour sa famille.

Et maintenant, il prétendait pouvoir sauver un gamin perdu comme moi. Son humanisme n'était vraiment qu'une façade, comme beaucoup de personnes.

Il ne restait plus que quelques minutes de trajet et mon regard s'était posé à de nombreuses reprises sur les luxueuses maisons. Des gens probablement aussi fortunés que le beau-père de Paris. Des gens qui avaient une vie bien plus simple. Après tout, si j'avais de l'argent, je me ficherais de l'ancienne maison de mes parents... Je me ficherais même de ce que l'avenir me réserverait. Mais pour le moment, tout est noir.

Les paysages s'arrêtèrent de défiler et il me fallut de longues secondes avant de prendre conscience que nous étions arrivés. Nous descendîmes du bus et étions désormais face à cet affreux bâtiment, autrement appelé le lycée pour certains.

Comme bien souvent, nous n'avions pas les mêmes cours et nous devions donc nous séparer. Paris espérait qu'on se croise au déjeuner, mais il y avait peu de chances que ça arrive. La plupart du temps, je passais mes pauses repas à l'extérieur du lycée entre quelques clopes.

Paris avait rapidement rejoint sa salle tandis que j'avais longuement hésité, entamant une cigarette qui me retarda d'une bonne dizaine de minutes. Le prof allait encore m'en vouloir de venir en retard ou de sécher son cours. En même temps, son cours était si inintéressant et rempli de parasites.

Pourtant, je m'étais quand même pointé devant la salle de cours, prêt à ouvrir la salle. Ma main était posée sur la poignée. Sauf que je n'avais pas envie que tous leurs regards se tournent vers moi et que le prof m'oblige à m'expliquer. C'était toujours le même refrain... À quoi bon ?

Dans un soupir, je relâchai la porte et m'installai sur un banc de la cour pour reprendre une cigarette. Heureusement que Paris n'était pas dans les alentours pour me sermonner. À chaque fois, elle me disait de faire attention, que je ne devais pas en faire une habitude... sauf que ce n'était pas si simple que ça. Peu importe.

Alors que je pensais être seul durant de longues heures, une fille dont les pointes de sa chevelure blonde étaient recouvertes de bleu cyan. Silencieusement, elle alluma une cigarette et regardait froidement devant elle. Néanmoins, j'avais comme l'impression d'apercevoir un brin de colère. Elle était probablement dans la même situation que moi.

Mais c'était plutôt les autres que nous évitions.

Elle se tourna vers moi et un léger sourire se dessina sur son visage. Je le lui rendis mécaniquement.

— Je suppose que ce serait stupide de te demander si tu sèches. Sinon, tu ne serais pas ici, lâchai-je maladroitement.

— Peut-être, mais, au moins, ça lance une conversation...

La Déliquescence des éperviersWhere stories live. Discover now