2-Shall We Gather At The River

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Je devais bien l'avouer, la petite communauté de Concord était charmante. 

Et leur café était à se damner!

-Le café vous plaît, Monsieur Styles?

Levant la tête, je croisai le regard gris clair de Mme Lewis, le maire de la ville. Courts cheveux blonds et aux racines brunes apparentes et un peu grisonnantes et ses lèvres souriantes peinte en vermillon sombre, la femme de presque cinquante ans exsudait la confiance en soi et l'autorité, intimidante dans un costume vert bouteille et son trench-coat beige. Sans même me demander mon avis, elle prit place face à moi sur la banquette en cuir caramel et croisa ses mains manucurées sur la table.

Levant un sourcil peu impressionné face à son désir de contrôler la situation, je reposai ma tasse désormais vide et écartai la soucoupe pour poser à mon tour mes coudes sur le bois clair dans un désir de lui prouver que deux peuvent jouer à ce petit jeu.

-En effet, je doute pouvoir venir ici tous les matins mais une seule goûte de ce cappuccino pourrait bien m'y pousser, dis-je avec une jovialité un peu forcée.

Son sourire sembla s'agrandir, mais habitué à ce genre de comportement de la part des clients de mon cabinet d'avocat à New York, je notai immédiatement la soudaine tension dans ses épaules, et l'étincelle qui vacilla soudain dans ses yeux face à ma bonhomie exagérée.

-Monsieur Styles, comme vous le savez je suis une femme occupée, j'ai notamment une ville à diriger et des projets à accomplir pour le bienfait de ses habitants. Je vais donc en venir au point: Avez-vous pensé à mon offre?

Je la fixai du regard un bon moment, pas le moins du monde surpris par sa question; à vrai dire je m'y étais même attendu depuis sa visite la veille. Visite durant laquelle je pouvais sentir son envie désespérée de se saisir de DeFiennes House alors qu'elle m'offrait moult plans qu'elle avait à l'esprit pour le terrain sur lequel était érigé le bâtiment. Levant une main désinvolte, je fis signe à la serveuse de m'offrir un verre d'eau, ignorant momentanément la légère crispation des zygomatiques de Catherine Lewis ou encore le léger raclement de ses ongles contre le plateau de la table lorsqu'elle manqua de crisper ses poings face à mon indifférence. Pivotant à nouveau vers elle, je m'appuyai contre le dossier de la banquette et esquissai un sourire désinvolte de mon cru.

-Pourquoi voudrais-je vendre une propriété familiale d'un tel standing? J'ai reçu avant-hier le rapport des experts que j'avais envoyé depuis New York et n'ai pu le lire qu'hier après votre départ. De ce que j'en ai lu, non seulement la demeure est-elle viable et en très bon état, mais elle est aussi considéré comme faisant partie du patrimoine et se trouve sur un grand terrain au sol très riche. Je peux comprendre votre besoin de pousser votre village vers le progrès et la civilisation - Dieu sait qu'il en aurait besoin! Sans vouloir vous offenser, bien sûr, la ville a tel un charme pittoresque - mais détruire un tel joyau des années 1600 pour bâtir un centre commercial de seconde zone? Non mais je m'en passerai bien. Je ne suis pas intéressé, Mme le maire.

Au fur et à mesure de mon discours, j'observai le sourire du maire disparaître au profit d'un éclat acier dans ses yeux couleur orage et d'un rictus né de sa colère. Elle hocha sèchement la tête et bondit de sa chaise avec autant de dignité qu'elle le put, son expression grave et indéchiffrable réussissant presque à masquer sa cruelle déception.

-Bien. Je vois que rien ne vous fera changer d'avis Monsieur Styles, acquiesça-t-elle d'un air froid mais toujours poli.  Si vous voulez bien m'excuser, j'ai une réunion qui m'attend. 

-Je vous en prie, Madame, répondis-je calmement en prenant une gorgée du verre d'eau que déposa la serveuse aux cheveux bruns devant moi.

Alors qu'elle s'apprêtait à partir, Catherine Lewis sembla néanmoins ne plus pouvoir se contenir et finit par vivement pivoter vers moi, plaquant ses mains d'un geste vif sur la table et me vrillant de ses yeux gris, et siffla entre ses dents, un sourire aussi faux que sa coloration déformant ses lèvres rouges brillantes:

-Vous pensez peut-être avoir fait une affaire en gardant cette demeure, mais laissez-moi vous dire une chose... (Elle se pencha jusqu'à ce que son parfum n'envahisse mes narines, doigts crispés et blanchissant sous la pression) Il serait dans votre intérêt plus que dans le mien de me laisser détruire cette maison. Votre famille a choisi d'oublier cette endroit, ils n'ont jamais perdu cet acte de propriété... (Elle fit une pause et sembla hésiter une seconde - une étrange étincelle de peur passant dans son regard l'espace d'une seconde, mais reprit bien vite avec une confiance renouvelée bien que vacillante) ...ils l'ont brûlé et ont déguerpi de cette ville aussi vite que possible pour une raison. Je doute que rester ici et titiller le Diable ne soit une chose intelligente à faire, et je sais que vous êtes un homme intelligent, Monsieur Styles. Ou tout du moins vos ancêtres l'étaient.

Choqué par sa réaction soudaine, je n'eus pas immédiatement la présence d'esprit de l'arrêter. Ce ne fut que lorsqu'elle s'apprêtait à franchir la porte du café lorsque je réagis, bondissant vivement sur mes pieds pour aller l'attraper par le poignet et la forcer à me faire face, nos visages à seulement quelques centimètres l'un de l'autre.

-Serait-ce une menace, Mme Lewis? sifflai-je à mon tour, la mâchoire tendue, mes yeux verts cherchant à déchiffrer les siens.

Elle m'offrit une œillade dédaigneuse et fronça le nez comme pour se moquer de mes conclusions.

-Non, Monsieur Styles, croyez-le ou non, nos familles ont toujours été amies, j'essaie simplement de vous aider à ne pas commettre la même erreur que votre prédécesseur. Lui au moins a fait le bon choix au dernier moment, même si cela lui a coûté. 

Confus, je clignai des yeux comme un hibou, ahuri par le tournant pris par cette conversation. Je cherchai une réponse quelconque en parcourant son visage et ses expressions du regard.

-Qu'est-ce que vous cherchez à me dire, bon sang?!

Elle retira son bras de ma poigne et rouvrit la porte afin de se glisser dans la chaleur de cette fin de matinée.

-Les petites villes ont beaucoup d'histoires qui s'entremêlent, et pleins de secrets résident dans les placards de ses habitants. Certains plus obscurs et dérangeants que d'autres. Il vaudrait mieux pour vous que vous partiez, vous n'avez pas votre place ici.

Sur ces mots cryptiques, elle lâcha la porte, ce qui me poussa à la rattraper avant qu'elle ne vienne claquer sur mon visage, et se dirigea vers sa berline noire. Alors qu'elle ouvrait la portière, elle se figea, ses prunelles pensives trouvant les miennes à nouveau. 

-La ville organise une petite fête pour commémorer ses fondateurs mais aussi la bataille de Concord pour l'Indépendance demain de 11 heures à 21 heures, nous serons tous réunis près de la rivière, du côté de Old North Bridge, dans le parc. Passez dire bonjour, tout le monde est curieux de voir à quoi un DeFiennes ressemble.

-Mon nom est Styles, vous savez? Remarquai-je sarcastiquement, mes yeux emplis d'agacement et de questions, sourcils froncés.

Elle soupira et jeta son sac à main sur le siège passager avant de monter sur son siège, me faisant face.

-Non. Ici, que vous le vouliez ou non, tout le monde vous considérera comme un DeFiennes, peu importe le fait que votre famille ait changé son nom, c'est votre héritage. Un héritage du genre à vous hanter. Après tout... (Elle haussa un sourcil entendu) Comment croyez-vous avoir trouvé cet acte de propriété?

Lorsque'elle claqua la portière et démarra, me laissant enfin derrière elle, elle m'abandonna avec plus de questions que de réponses; et les quelques éléments qu'elle m'avait dévoilé avaient été suffisants pour faire remonter un frisson le long de ma colonne vertébrale. 

Mais dans quoi est-ce que je m'étais fourré?

Enchanteresse | VF Harry StylesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant