Prologue

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La nuit emprisonnait la ville entière et bien au-delà de ses frontières. L'encre coulait sur les habitations où quelques lumières perlaient encore. L'agglomération témoignait d'une activité nocturne que l'on niait systématiquement. Tout ce que l'on n'osait avouer et qui s'éveillait au crépuscule.

Un bâtiment délabré aux limites urbaines ne faisait pas exception. Ici, tout le monde savait ce qu'il s'y produisait, sans toutefois en donner le nom. Un secret jalousement gardé pour les âmes pures de ces lieux.

Des cris résonnaient dans l'habitacle, illustrant à eux seuls la luxure et la débauche de ces rues. Le bruit répété des chairs moites ne choquait plus personne, on en souriait simplement, comme d'une routine tenace et bien particulière. Cette nuit-là ne faisait pas défaut, rien ne viendrait marquer une quelconque différence. Un souvenir vaguement familier.

Deux corps dûment imbriqués l'un dans l'autre se mouvaient sur un matelas usé. Les peaux humides et les soupirs rauques résonnaient, encore et encore. Des grognements bestiaux emplissaient la pièce déjà lourde de cette tension caractéristique. La puanteur liée à la saleté des lieux s'ajoutait à l'odeur de sexe et prenait à la gorge. Rien qui ne pouvait déranger outre mesure ces deux amants d'un soir. Ces hommes amenés à se rencontrer une fois, et une seule !

Dans un dernier coup de bassin, le premier éjacula bruyamment, entraînant l'autre dans sa chute vertigineuse. Leurs yeux brillants s'écarquillèrent dans cette félicité muette et salvatrice. C'était fini, et ils s'écroulèrent ensemble sur la couche dure comme du bois. Il n'y avait rien entre eux, pas même des petites attentions ou une quelconque marque d'affection. De l'attirance, peut-être ? À peine de cela, tout au plus. Ils s'écartèrent dès lors qu'ils eurent fini leur affaire. Pas de baiser, pas de caresse, pas même un léger contact volé. Une distance souhaitée et certainement bien préférable.

Caleb reprenait calmement sa respiration aux côtés de son partenaire d'un soir. Il n'était rien qu'un coup de plus à son actif, même son nom lui était inconnu. Le physique avantageux de l'autre avait constitué sa seule exigence. Des cheveux blonds comme les blés et des yeux d'un azur perçant, une mâchoire anguleuse et une musculature digne de l'interpeller. Cela n'avait pas de nom, rien qu'une appellation : l'appel à la luxure !

Le jeune homme réfléchissait, brutalement philosophique après ces longues minutes de plaisir. Il alluma une cigarette, d'un geste vif synonyme d'habitude. C'était là le seul moyen de calmer l'activité soudaine de ses neurones. La respiration saccadée de son partenaire lui parvenait en écho, bien lointaine. Son regard gris s'échouait par delà la fenêtre, là où la ville s'étendait à perte de vue. Un sourire désabusé franchit le seuil sacré de ses lèvres.

Là-bas, Saint-Denis dormait. Une ombre incontestée s'était abattue sur le monde sans ne jamais importuner personne. Il appréciait cette noirceur, ce ciel où la Lune s'exposait à l'attention humaine. L'astre nocturne veillait sur eux, aussi ironique cette pensée pouvait être. Caleb était persuadé que rien ni personne ne surveillait ses actes, il n'y avait pas le moindre regard posé sur lui en ces jours sombres. Comme il avait agi en toute impunité jusque là, il demeurait maître de cette existence fade et morne jusqu'à ce que la mort le rappelle à elle.

Son beau visage reflétait la pâleur du satellite tout comme l'obscurité ambiante. Un contraste saisissant dont il n'avait même pas conscience. Ses cheveux semblables à des plumes de corbeau reposaient sur ses épaules blafardes et dénudées. Ses traits d'ordinaire durs s'étaient apaisés de toute la tension accumulée. Quelque part, il se sentait mieux. Ce plaisir amer qui l'avait submergé un peu plus tôt abandonnait derrière lui une sensation de plénitude factice.

Des froissements de vêtements bien reconnaissables attirèrent l'attention du jeune homme. L'autre s'était levé et traversait nu la petite pièce afin d'aller récupérer ce qu'ils avaient laissé tomber en hâte. Caleb l'observa se rhabiller sans décrocher un mot, ayant été témoin de cette scène des dizaines de fois. Au moment où son homologue allait franchir définitivement le pas de la porte, le jeune homme le retint pour la forme :

— Tu pars ?

D'abord un peu surpris par ces mots –les seuls échangés au cours de la soirée- l'autre se retourna lentement. Un pli barrait son front alors qu'il passait une main distraite dans ses cheveux. Il répondit, après un court moment de réflexion :

— Ouais. Tu sais où me trouver !

Caleb opina, un sourire aguicheur se dessinant sur ses lèvres fines. Il laissa donc son partenaire le quitter, sans chercher à le retenir outre mesure. Tout cela lui était bien égal, il ne ressentait absolument rien à son égard. Un calme plat s'était emparé de lui alors qu'il retombait sur le matelas dans un bruit mou.

Le jeune homme laissait les volutes de fumée s'étendre dans l'air, jusqu'à disparaître totalement. L'odeur âcre peinait à recouvrir l'autre, tout aussi forte, du sexe. Le sperme et la transpiration se mêlaient, rendant la pièce presque irrespirable pour qui n'y était pas habitué.

Le regard gris épousa à nouveau le ciel noir et sans défaut. Seules quelques étoiles osaient s'y inviter et perler timidement dans cette vaste étendue, de petites lumières venues d'ailleurs. Caleb trouvait ce spectacle éblouissant, de ces rares choses encore capables de l'émouvoir. L'horizon se perdait dans cette obscurité permanente, la même qui le rongeait en ces précieux instants.

Il aimait ce qui l'absorbait, ce néant familier et inatteignable. Cet être désabusé et perverti, égaré dans les méandres de ce monde, était toujours capable de sentiments. Ravivés par la lune, cet œil unique posé sur lui, il se sentait renaître. Un moment chéri que seule la nuit pouvait encore lui offrir, sans le moindre espoir de Salut. La fumée opaque s'échappant de sa bouche entrouverte le démontrait, comme l'accusation d'une existence faite des pires vices créés par l'Homme. L'ironie du sort se révélant après le crépuscule et pour de longues heures encore.

C'était ainsi que Caleb se sentait, secrètement, un peu plus proche du ciel.


Et voilà pour ce court prologue ! 

Je n'ai pas grand chose à dire après l'avant-propos, mais je continue à espérer que ce début vous aura satisfait. 

J'attends vos avis avec impatience. Vous venez de faire la connaissance d'un de mes protagoniste : Caleb. Vous a-t-il fait bonne impression ? Que pensez-vous de lui après ces quelques lignes ? 

Je vous embrasse  ~

Near the sky Where stories live. Discover now