p.53 › on en reparle après.

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C'est ma dernière nage. Ma dernière chance, celle de graver mon nom une bonne fois pour toute dans l'histoire de ce bahut de merde. Que ça leur plaise ou non.

Plus tôt cet après-midi j'ai craché du sang. Juste avant de grimper sur le plot de départ, dans les lavabos des vestiaires. Un molard cramoisi, que j'ai regardé glisser tout le long du sillon sans vraiment percuter. Au début j'ai pris peur : une pneumonie, là maintenant ? Non c'était vraiment pas le moment. Et puis j'ai tâté l'intérieur de mes joues, j'ai gémit, et j'ai compris à la vue de mes doigts poisseux.

Même si j'ai du mal à l'admettre, j'avoue avoir sous-estimé la nervosité que ce meeting pouvait me transmettre. Tant est si bien qu'il lui a carrément fallu se matérialiser en douleur physique pour que je la remarque. Cramponné à mon visage, me voilà assis par terre à regretter le fait de ne pas m'être rendu compte de mon tic. J'ai mal aux joues. Je stresse. C'est étrange, j'ai l'impression que si je me lève, tout le faux-plafond s'abattra sur ma tête, que les casiers se déploieront pour écraser mes jambes et que personne ne remarquera que je suis en train d'agoniser sous les décombres d'un vestiaire mal foutu.

« Kyrel ? »

D'ordinaire je fais partie de ces concurrents flegmatiques qui glandent sur le bord, sans pression, et que tout le monde a envie de gifler. Mais là c'est différent. Vachement différent. D'une part les sélectionneurs pour les équipes nationales sont là. Ils nous épient, du haut de leur menton soutenu de l'index, et je sais d'après Barrett qu'ils hésitent à considérer mon potentiel. Et puis il s'agit de la dernière fois où je représenterais High Abrahams, soit la dernière image que l'établissement aura à jamais de moi. Alors autant qu'ils l'aient bien dans le cul en me voyant remporter leur première coupe de ce deuxième millénaire.

« Hé oh, Ky ?

— Je suis là.

Le visage auréolé de mèches trempées, Anastasia tend le cou depuis la porte.

— Tu peux rentrer, y'a personne.

La rousse ne se fait pas prier et se glisse à mes côtés, les fesses posées sur le carrelage, dos au mur. Elle a terminé sa journée. Arrivée troisième sur deux courses, elle a finit de s'en réjouir avec le reste de l'équipe.

— Est-ce que ça va...? murmure-t-elle.

Je pose ma tête sur son épaule et hausse les miennes.

— Je sais pas. Il faut, de toutes manières.

— Ça va bien se passer. Je le sais, tu le sais, tout le monde le sait. La seule raison pour laquelle ça ne se passerait pas bien, c'est que tu commences à douter de toi, souffle-t-elle en me frottant le bras.

Je pousse un soupir qui s'allonge sur sa clavicule.

— Roshe n'est même pas dans les gradins. Putain, même Jil est venue !

— Tu crois pas qu'il a juste pas envie de se montrer devant Benjamin et sa clique ? tente Anastasia afin de me rassurer. Et puis si tu gagnes, il sera obligé de venir te féliciter. »

Sa remarque m'arrache un sourire. C'est un très bon point : je suis presque sûr que le libanais n'y manquerait pas. Alors galvanisé par l'idée, je me lève. Je traverse le vestiaire, perçoit Barett au loin qui m'indique que c'est à mon tour de nager. D'un doigt il me montre le couloir qui m'est attribué et me rejoint en quelques enjambées. La claque qu'il m'assène alors fait frémir chacun des muscles de mon dos.

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant