p.19 › essuie-cœur.

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« Eh pétasse, vient voir un peu si t'es une femme... »

Jil est au beau milieu de la cafétéria, le regard brûlant et les poings serrés. Encerclées par une foule de premières années, elle fait face à l'une de ces pépètes qui pullulent dans le lycée, un sac-à-main brandit en guise de protection. D'après les dires qui circulent, l'une aurait traité l'autre de clocharde. Ma sœur, en l'occurence. Et ça ne lui a pas du tout plu.

L'adolescente l'attaque au visage : la blonde riposte. Une vague de sifflements serpente entre les spectateurs. Des cheveux volent et un rouge-à-lèvre est ejecté de la cohue. Lamentable.

Moi je me tiens non loin, en la charmante compagnie de Mace et Benjamin. L'un bâille et l'autre soupire, lassés de ces crêpages de chignon.

« J'interviens ?

— Mouais. J'ai hâte de voir la tête de sa copine quand elle te verra. »

Je lâche un petit ricanement et me décolle du mur. Je me faufile, esquisse un ou deux virages ; il ne m'est pas difficile d'éviter toutes ces fourmis. Quelques pas et un coup de coude plus tard, me voilà posté aux côtés de Jillian, bras croisés. Les cris s'estompent et laissent place à un velours de murmures amusés. C'est drôle ce que ma présence a le don d'invoquer...

Ma sœur est au comble de l'exaspération.

« Kyrel, casse-...

— Tu m'expliques ce bordel ? je la coupe d'un ton tranchant.

Je sens le regard de sa rivale glisser sur moi.

— C'est cette pute, elle se croit tout-...

— Ok, ok j'ai compris, soufflé-je. Déguerpis vite avant que tu ne t'attires d'autres problèmes.

Jil pousse un long et las soupir et attrape son sac-à-dos, déjà sur le pas de la cafétéria. Ses amies la suivent et font claquer leurs Doc Martens à quelques centimètres de la blondasse, visiblement énervées.

— Je suis désolée que tu aies pu assister à ça, Kyrel, minaude la jeune fille en plissant les lèvres.

Ses joues sont subitement redevenues roses et son mascara ne coule plus. Au lieu de ça, elle m'adresse un faux sourire contrit et roucoule de rire. Jil avait raison : quelle pétasse.

— C'est vrai que c'est désolant, de la part des premières années.

— N'est-ce pas ? lâche-t-elle avec un rictus. Je me demande comment de tels indigènes peuvent encore subsister à Blurdale...

— Effectivement, c'est dommage de voir des échanges aussi vulgaires, je mâche en évitant son regard.

— Tout-à-fait...

— Et il est d'autant plus déplorable que certaines personnes puissent trouver le temps d'aller insulter les gens de clochards, tandis que ces-mêmes clochards préférent, eux, prendre le temps d'activer leurs neuronnes, je débite en la fixant froidement. Enfin, il faut de tout pour faire un monde, je suppose. »

Pour qui s'est-elle donc pris pour oser humilier ma sœur ?

Stoppée dans son élan, elle se rembrunit et s'en va sans en demander son reste, bouche entreouverte. Quelques élèves pouffent, l'imitent, puis ils se dispersent. La cafétéria dévête son rôle de ring.

« Bien joué, Cuisse-De-Nymphe, me lance Darlene qui vient d'arriver. Ces petites connasses n'ont pas encore intégré les lois du lycée, on dirait. »

stratosphère.Where stories live. Discover now